Le seul reproche concret que je peux faire à l'égard de ce livre c'est qu'il a souvent tendance à s'embourber dans d'innombrables discussions et débats théologiques, géopolitiques et philosophiques bien longs et complexes avec le jargon chrétien qui va bien, ce qui fait que le côté polar met beaucoup de temps à avancer, mais sinon ça reste un brillant récit super dense, malin et d'une richesse thématique vertigineuse. Tout paraît systématiquement et soigneusement documenté et réaliste et la narration est si bien découpée et menée que je me suis ennuyé que rarement malgré ces 700 pages. Et de toute façon je savais à quoi m'attendre bien attiré que j'étais par ce mélange de genres. J'était aussi venu pour me confronter à ça et je n'ai pas été déçu.
Et même si certains passages sur la théologie chrétienne et notamment sur la scolastique sont effectivement bien raides pour ce qui est compréhension des tenants et aboutissants on comprend toujours l'utilité au récit. Ce 《 Nom de la rose 》n'est pas qu'une passionnante enquête sur une série de meurtres de moines dans un monastère médiéval, non, c'est aussi une superbe immersion historique dans l'obscurantisme religieux de l'époque et donc aussi une mine de réflexions philosophiques sur l'accès à la vérité et à la connaissance. Je pense à cette divergence d'opinion notable qu'il y a entre les deux camps du livre sur le rôle du rire dans la chrétienté qui est une thématique originale ou bien à cette problématique plus centrale de l'oeuvre qui est l'accès au savoir que cette mystérieuse bibliothèque labyrinthique veut s'accaparer en gardant jalousement ses livres loin des curieux.
Le duo Guillaume de Baskerville et son novice Adso fonctionne à merveille dans l'alchimie et nous offre tous pleins d'échanges super savoureux et référencés (cf Occam). Et de toute façon la galerie de personnages aux background toujours fouillés est ici un régal.
Franchement c'est un roman fleuve, très long, mais ça reste un pur bijou littéraire aux multiples niveaux de lecture et un formidable plaidoyer pour la culture, le savoir, et l'exercice de la raison. Un plaidoyer mais aussi une dénonciation des excès et de l'extrémisme religieux avec ses conflits d'intérêts et ses vices les plus inavouables.
Tout le dénouement de l'histoire est une pépite d'écriture dans la plume et super haletant dans l'action et j'aime la révélation finale qui n'en fait pas des caisses et reste tout à fait vraisemblable. D'ailleurs toute l'histoire a la présence d'esprit de nous épargner les coups de théâtre à foison car elle en a pas besoin pour nous retenir et nous captiver ; quand bien même j'ai parfois été contraint de lire les passages lourdingues relevés plus haut en diagonale.
Un classique incontournable et indémodable. Il est vraiment à lire pour compléter le moyen film de Jean-Jacques Annaud beaucoup plus en profondeur (adaptation filmique qui est par ailleurs assez fidèle et respectueuse de la substance de l'oeuvre d'Umberto Eco mais qui en restitue tout de même mal la difficulté de l'enquête car tout va beaucoup trop vite). En somme c'est un chef d'oeuvre à lire plusieurs fois pour en assimiler pleinement la complexité et la quantité affolante de subtilités dont il regorge.
Tout ça me donne d'ailleurs envie de me lancer dans 《 Le pendule de Foucault 》.