A travers une enquête policière brillante et compliquée, Umberto Eco nous ouvre la porte vers une période troublée de l'histoire de la chrétienté : chasse aux mouvements hérétiques, cruauté des inquisiteurs, clercs et pape corrompus dans leur palais d'Avignon… Il nous laisse voir la complexité des jeux politiques et religieux, les thèses défendues par les uns et les autres, avec une telle précision qui risque de perdre le lecteur. Il faut s'accrocher un peu pour suivre les histoires sombres et les partis pris théologiques (d'autant que les phrases latines qui émaillent le texte ne sont pas traduites, dans l'édition de poche en tout cas).
Cela dit, pas de risque de s'ennuyer : les rebondissements de l'enquête se suivent à perdre haleine. Sans arrêt nos héros déchiffrent des parchemins, cherchent du sens dans des codes… Le lecteur aussi doit faire fonctionner sa logique, notamment pour comprendre le titre, énigme à lui tout seul dont le sens n'est dévoilé qu'à la dernière page. L'unité du lieu (l'abbaye) faisant office de huis-clos angoissant, le temps compressé en sept jours (le chiffre n'est d'ailleurs certainement pas choisi au hasard tant il est lourd de symbole religieux)… on pourrait presque se croire en pleine tragédie classique. C'est sans compter l'humour subtil qui colore le récit, et les traits de caractère bien marqués de chacun des personnages. Guillaume de Baskerville incarne à lui tout seul l'esprit anglais, véritable Sherlock Holmes franciscain au flegme sans pareil. Nul doute que Sean Connery était l'acteur idéal pour jouer le rôle. Les moines chacun à leur manière ont aussi un caractère symbolisant un travers humain qui les rend grotesques et parfois même effrayants : avarice, appât du savoir, luxure, soif de pouvoir…
L'intrigue policière qui tourne autour de l'abbaye ouvre une réflexion profonde autour du savoir, réflexion à caractère politique. La bibliothèque, symbole du monde, orgueil de l'abbaye, renferme jalousement ce savoir, et semble damner ceux qui veulent braver les interdits. Comme si avoir accès au savoir signifiait détenir un grand pouvoir. La protection de la connaissance à tout prix devient source de destruction, car non diffusé, non partagé.
Et toutes les infinités d'interprétation que je n'ai pas réussi à comprendre…