On est pris aux tripes par la trame qui oscille entre songes, folies et réalités, mais c’est tout le contexte en toile de fond qui donne cette saveur particulière à ce livre.


Loin d’être un simple songe, c’est une réalité brute et cruelle qui est décrite.


Il faut s’attacher à lire entre les lignes pour comprendre ce que l’auteur a voulu mettre en exergue. L’oubli, l’exil sont salvateurs, mais il suffit de peu de choses pour que les souvenirs ressurgissent. Ils sont toujours là tapis au fond de notre mémoire et n’attendent que de surgir, comme un monstre explosant nos entrailles.


Malgré toute la douceur de la plume, il y a un vrai cri de rage et de souffrance, Faysal n’est qu’un murmure qui s’infiltre entre les collines. Un murmure qui devient Wiswis… Il faut comprendre ce que sont ces Wiswis pour appréhender toute la souffrance de Faysal, de sa famille, mais aussi de tout un peuple. De la grandeur à la chute programmée…


Lorsque j’ai lu le mot Wiswis, j’ai eu du mal à cerner ce que voulait nous faire comprendre l’auteur et puis j’ai eu cette sensation de plonger dans mon enfance, dans ces paroles, ces mots qui prennent un sens tellement différent lorsqu’ils sont en arabe, ils prennent une saveur toute particulière. Je suis d’ailleurs incapable de lui trouver un mot qui puisse le définir clairement. C’est le propre de ces murmures au creux de l’oreille, ce double sens qui oscille entre murmure et folie douce. Le twaswis est un chuchotement d’origine interne qui devient obsessionnel.


Et c’est surtout de ça dont il est question ici. L’obsession… L’obsession de vivre et de passer à autre chose, l’obsession de ne pas oublier en gardant le lien avec le passé. Comme un lien ténu entre deux personnalités, deux vies, au point de ne plus savoir ce que l’on souhaite vraiment.


Il y a une allégorie incroyable entre Faysal et la Palestine. A lui seul il est la Palestine. L’auteur évoque la gloire passée de cette grande famille, dans ce palais aux deux collines, c’est la gloire du peuple palestinien, reconnu et libre. L’auteur évoque le départ et l’exil de Faysal pendant 10 ans, ce sont les Palestiniens qui fuient… Faysal n’arrive pas à oublier au point d’en devenir fou, c’est le peuple palestinien qui vit cette folie qui quotidien…


Sous ses airs poétiques, c’est un livre engagé qui annonce la fin d’un peuple. Le palais des deux collines, c’est l’allégorie dont l’auteur se sert pour nous parler de la Vallée du Jourdain, où depuis la création de l’État d’Israël ont été implantées de nombreuses colonies israéliennes. À l’exception de 50 000 Palestiniens dont la carte d’identité mentionne qu’ils habitent dans l’un des villages de cette région, tous les autres ne peuvent y pénétrer librement depuis mai 2005. Un cordon nord-sud de check-points en contrôle l’accès. Durant, le processus de paix israélo-palestinien, sous la houlette de la communauté internationale, pour trouver une solution au conflit israélo-palestinien, l’Autorité palestinienne n’a pu s’établir que sur 45 km2 sur les 2 400 km2 que forment la vallée.


Il y a deux manières de découvrir Karim Kattan et « Le Palais des deux collines« .


On peut le lire en se laissant bercer par la musicalité des mots, par les souvenirs, les fantômes aux murmures obsédants où Faysal se perd au rythme de l’avancée des colons, se perd dans les mémoires et se perd pour la Palestine.


On peut aussi le lire au regard de l’Histoire et y voir la lente progression dans la Vallée du Jourdain, des troupes israéliennes détruisant les habitations palestiniennes. C’est une longue et douloureuse colonisation, un lent déclin et une disparition programmée d’un peuple.


On ne referme pas ce livre comme on en referme un autre… Il laisse son empreinte, son atmosphère, ses images, ses couleurs collent à la peau et comme Faysal, comme ces Palestiniens, on a envie de crier sa rage mais la tristesse nous enveloppe au point de nous rendre spectateur d’une mort programmée…

https://julitlesmots.com/2021/03/12/le-palais-des-deux-collines-de-karim-kattan/

Ju-lit-les-mots
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le 22 janv. 2023

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