Déposé nourrisson aux portes d’un monastère toscan parce qu’atteint de nanisme, Ilario le narrateur est, en cette fin de XVIe siècle, élevé à la dure au sein de l’orphelinat tenu par les moines. Son intelligence et sa soif d’apprendre lui valent d’être soustrait au harcèlement des autres enfants pour faire l’apprentissage de la lecture, de l’herboristerie et de l’anatomie auprès d’un moine érudit. Son esprit désormais ouvert à la connaissance n’a bientôt de cesse de s’envoler au-delà de l’enceinte monastique. Commence alors une longue épopée picaresque qui, de rencontres plus ou moins mauvaises en choix plus ou moins bons, va le mener à travers l’Europe de la Renaissance.
Des espions et des maîtres verriers de la Sérénissime République de Venise aux mœurs agitées du Caravage à Rome, Naples, puis Malte, du fond des mines de cobalt en Europe centrale à la Cour de l’Empereur Rodolphe II de Habsbourg à Prague, enfin d’un ermitage en compagnie d’un lion à la croisade d’une magnétique prédicatrice, tel est le passionnant voyage, aux aventures toutes plus rocambolesques les unes que les autres, auquel nous convie ce roman-fleuve découpé en cinq parties symbolisant les étapes de la vie. Entre les germes de l’enfance et la résignation de la vieillesse, s’écoulera un destin en forme de montagnes russes dont un tirage de tarot avait dès le début prédit les grandes lignes, mais qui devra beaucoup à l’extraordinaire instinct de survie d’Ilario, lui que Dame Nature avait pourtant bien mal loti au départ.
D’une manière qui fait penser à la Traversée des Temps d’Eric-Emmanuel Schmitt, le récit commenté avec humour au long d’intéressantes et didactiques notes de bas de page est l’occasion d’une immersion historique riche et vivante qui, adoptant délicieusement et fort naturellement les tournures de langage d’alors, se nourrit avec aisance d’une documentation colossale et d’une érudition teintée de dérision. Au prétexte de péripéties agréablement fantaisistes, l’on se délecte ainsi de la finesse d’évocation de l’époque, au travers notamment de quelques unes de ses grandes figures, mais surtout de ses débats artistiques, religieux et philosophiques, alors qu’après la Renaissance et sa profonde transformation de la représentation du monde, d’autres bouleversements annoncent déjà l’âge baroque.
Fort de sa riche et érudite trame historique, de son personnage picaresque si humain et faillible dans ses aspirations et ses travers, enfin de son humour et de sa plume tout droit sortie d’un encrier du XVIIe siècle, ce pavé soigné de plus de sept cent cinquante pages, qui ne connaît aucune baisse de rythme au long de ses aventures foisonnantes et qui offre un véritable bain culturel dans l’Europe de l'époque, se déguste avec autant d’amusement que d’intérêt.
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