Anéantir la Beauté
C'est sans doute la première fois qu'un podcast sur un auteur me donne autant envie de le lire. Le Pavillon d'Or est ainsi le premier ouvrage de Mishima que je me suis surprise à dévorer, après...
le 2 sept. 2017
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C'est sans doute la première fois qu'un podcast sur un auteur me donne autant envie de le lire. Le Pavillon d'Or est ainsi le premier ouvrage de Mishima que je me suis surprise à dévorer, après l'avoir découvert à l'occasion d'une émission spéciale à la radio.
Plongés dans le Japon religieux du XXème siècle, post-guerre, nous suivons l’histoire –tirée de faits réels, de Hayashi, un jeune moine en passe d’anéantir le Pavillon d’Or, fameux temple bouddhique japonais. La montée du crime est lente et montre ainsi l’habilité de l’auteur à construire un récit à la fois comme une analyse de la ψυχή (psychè) humaine, mais aussi à esthétiser le crime et sa préparation, ces deux aspects ne pouvant fonctionner l’un sans l’autre. C’est ainsi par une analyse à la fois sémantique, mais aussi purement psychologico-philosophique que l’auteur parvient à nous donner une image complète, de ce qui – semble-t-il et selon lui, a provoqué la perte du Pavillon d’Or : les mystères de sa beauté.
Pour Mishima, tout commence d’abord par le style. Associant une description quasi-naturaliste (d’un lieu finalement réel) et très fertile en images sensitives, il nous permet ainsi de saisir l’essence même du Pavillon d’Or : un lieu dont la Beauté devient propice au crime. En véritable architecte, il construit le Pavillon d’Or avec les outils de l’écrivain : ses mots deviennent des briques et ses espaces de silence, le ciment pour les rassembler. Mais son style que je dirais tout "japonais" par sa finesse, sa douceur et ses références diverses ne semble s’évertuer qu’à mieux détruire ce que chaque phrase tente d’instaurer de bon. C’est donc à la fois un Mishima doux et cruel que l’on voit exercer.
Le portrait de Hayashi devient ainsi à la fois déroutant mais aussi totalement un écho au Pavillon d’Or. Le jeune homme bègue, ne séduisant guère la gente féminine, très peu sociable voire antipathique et qui s’apprête à devenir un criminel, serait ainsi à l’image de sa tare : et en comparaison de l’édifice paraît bien bancal (il parle même de ses « sentiments [qui] aussi avaient leur bégaiement ! ») et imparfait.
Mais loin de résumer les mystères de la Beauté à une simple question esthétique ou à une opposition avec le personnage de Hayashi, Mishima entreprend de comprendre la force quasi-maléfique que la Beauté pourrait exercer sur nous. Il est à rappeler que Mishima dans toute son œuvre témoigne de sa fascination pour la souffrance et son esthétisation, et peut-être même plus ici encore que dans son attrait pour le tableau du martyr de Saint-Sébastien de Guido Reni.
Pour le personnage de Hayashi, le Beau, [le Pavillon d’Or] doit être « capable de me couper de la vie, de me protéger contre la vie », mais aussi de m’« écarter de la vie », il doit donc assurer à la fois un rôle de mère mais aussi et paradoxalement celui de faucheuse. De cette idée croîtrait dans l’esprit du jeune moine que « l’indestructible beauté du Pavillon d’Or émanait d’une possibilité d’anéantissement » et ainsi la possibilité physique même d’anéantir le Pavillon d’Or, l’aurait simultanément écarté de la vie et l’aurait poussé à l’anéantir. Il s’agirait donc d’anéantir le plus vite possible l’autre considéré comme un adversaire potentiel à ma propre survie. Mais encore est-il que pour pouvoir mourir, faut-il se savoir en vie ce qui ne semble être le cas de Hayashi qu’à la mort de son père : au moment précis où il le regarde mort, et où il obtient l’assurance de sa propre existence. Il semblerait donc que l’achèvement du crime et l’incendie final n’aient été possibles que par la prise de conscience même du personnage principal de son existence mais aussi de sa volonté de retrouver un contact avec la vie en se détachant du Beau.
Ainsi, les paradoxes émanant même de la Beauté (sa possibilité de m’anéantir/ ma possibilité de l’anéantir) permettent d’achever le livre sur un succès final de la vie sur la mort (« je voulais vivre »). Mais sans doute dans ce combat opposant l’homme à la Beauté, la Beauté l’emporte, puisque les flammes loin d’effacer les charmes du Pavillon d’Or, les renforcent en faisant de Hayashi un être contemplatif de sa propre œuvre (comme sa cigarette à la main le suggère) dans la dernière scène.
Malgré ce que l’on pourrait croire c’est un livre qui se lit très facilement, que je recommanderai mille fois, car il est une belle introduction à la littérature de Mishima (j’ai moi-même commence par celui-là et il demeure mon préféré) : complexe, raffinée mais abordable.
(Pour les puristes qui se demanderaient : j’ai malheureusement dû le lire en français et je m’en excuse, mais il m’a réellement donné envie de me mettre au japonais.)
J’ai réalisé cette critique pour inciter sans-drap à lire mon auteur préféré mais si cela vous a aussi inspirés à le lire aussi j’en suis ravie !
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Créée
le 2 sept. 2017
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