"Le Père Goriot" a la réputation d'être l'un des romans les plus accessibles de Balzac ; de là sans doute vient le fait qu'on le donne facilement à lire à l'école. Pourtant, je n'avais jamais eu l'occasion de le lire, ne comptant pas parmi les fervents admirateurs de l'auteur.
Je suis heureuse de l'avoir découvert adulte car je ne pense pas qu'adolescente, en pleine période de rébellion contre l'autorité parentale, j'en aurais apprécié toute la finesse. La subtilité et la beauté de ce portrait de père est remarquable et nécessite, de mon point de vue, le recul que donne la maturité pour bien saisir la notion de sacrifice qui est au cœur du roman.
Le terme "Père" du titre désigne à la fois une civilité familière et un statut sociologique et social. M. Goriot devient, au fil des pages, une figure archétypale, quasi allégorique de la paternité avec une dimension christique : l'homme qui donne tout à ses enfants, aux êtres qui lui sont le plus chers, sans en attendre de reconnaissance, l'homme qui se sacrifie avec abnégation jusqu'à l'abandon et la misère, celui qui pardonne sans conditions et qui se réinvente au service du bien-être et du bonheur de ses petits.
Face à l'image du père, Balzac nous offre une autre image forte, celle d'un fils sous les traits d'Eugène de Rastignac, jeune arriviste déchiré entre son ambition et sa probité. Les scènes d'intérieure de la pension Vauquer annoncent le courant réaliste teinté de naturalisme précoce et sont admirables de véracité. Balzac aurait pu titrer son roman "Splendeurs et misères des Parisiens".
Le roman est foisonnant de personnages, tant d'hommes que de femmes même si une réelle féminité s'en dégage ; le rythme que j'ai d'abord trouvé lent et alourdi de descriptions mobilières s'est finalement accéléré au gré d'une action chargée d'émotions. Le fait qu'une grande partie du récit se déroule dans le huis-clos de la pension Vauquer n'a pas été sans m'évoquer le futur "Pot-Bouille" de Zola, bien plus crû mais tout aussi insolent et voyeur. Logique puisque "Le Père Goriot" fait partie des scènes de la vie privée de la "Comédie humaine".