Une fois que l’on achève Le Père Goriot, on ne peut s’empêcher de vouloir écrire un avis ou ne serait-ce clamer haut et fort son amour pour ce monument de la littérature française. L’ayant déjà parcouru durant ma jeunesse, je n’avais malheureusement pas assez de maturité littéraire pour parvenir jusqu’à la fin. Et, à force de le voir traîner, moisir dans ma bibliothèque, je me décide enfin de le relire pour pouvoir affirmer que je l’ai lu !
Et c’est maintenant avec plaisir que je dis que non seulement je l’ai lu mais aussi je l’ai, comme indiqué au début, adoré !
Mais au fond, qu’est-ce qui nous attire dans la pension Vauquier en cette première moitié du XIXème siècle ?
Eh bien, au delà du style pittoresque dans lequel repose cette maison, notre intérêt se porte sur les différents habitants qui font vivre ce lieu, témoins de scènes que l’on pourrait caractériser de « sublimes » derrière ces murs sordides.
Dans cette pension, deux personnages se mettent en évidence : le vieux Goriot, et le jeune ambitieux Eugène de Rastignac. Comme dans les œuvres balzaciennes, nos héros ont leurs forces mais aussi pour notre plus grand pathos, leurs faiblesses. Jean-Jacques Goriot est quelqu’un en fin de vie qui ne trouve plus de vraies raisons de traîner sa carcasse, bien malgré lui. Après avoir mené une vie assez bourgeoise marquée par le décès de son épouse, il a décidé de se consacrer pleinement à ses deux filles. Il leur donne tout jusqu’au moindre sou mis de coté. C’est ainsi qu’il rentre dans la pension avant de continuer de donner toutes ses richesses et de vivre misérablement au dernier étage chez madame Vauquier. Jugé sur sa discrétion et son air pauvre, il est fustigé derrière son dos par tous et en première ligne, la propriétaire de la pension.
Eugène de Rastignac est un jeune premier qui choisit de faire des études de droit à Paris. C’est dans ce contexte que lui, se rend dans notre fameuse pension, prêt à se confronter aux autres habitants et surtout à faire la rencontre de Goriot. Mais avant cela, Goriot est (et restera) secondaire dans le roman qui porte son nom. Nous nous intéressons à Rastignac, cet être innocent et ambitieux, et suivons ces inquiétudes. Inquiétudes concernant le lourd statut que lui laisse son nom sans qu’il ait de réels prestiges. Il doit donc se refaire un nom en participant à des dîners mondains. Eugène se retrouve progressivement attiré par ce monde de la luxure. Il tombe symboliquement amoureux d’une femme de ce monde, Delphine de Nucingen. D'un point de vue social et sentimental, son rêve serait donc d'atteindre des montagnes à première vue trop élevées.
Le Père Goriot est magnifique !
Cette réplique est prononcée par le jeune étudiant. Celui-ci est d’office notre fil conducteur du roman, qui correspond à un roman d’apprentissage. Nous voyons le Père Goriot derrière ce qu’il semble être. Je pense que la clé du roman de Balzac est là : comment voir derrière l’apparence la véritable figure d’un homme trop bon. Comme je vais l'évoquer plus bas, le livre se porte sur la notion d'apparence. En prononçant cette émouvante phrase, Rastignac confirme l’identification que l’on pourrait porter sur lui. Il est le seul à ne pas être aveuglé dans la mesure où il voit le vrai visage de ceux qui l'entoure : le Père Goriot est le père de Madame de Nucingen à laquelle il a tout donné jusqu'à sa santé et sa réputation. Cette générosité paternelle a conduit Goriot dans l’extrême pauvreté dans laquelle il vit. Nous, lecteurs, sommes les seuls avec Eugène à se prendre d’empathie pour Goriot. Celui-ci est mis de coté par les autres, même ses propres filles dont Madame de Nucingen !
Qui dit roman d’apprentissage, dit forcément mentor. Ici, ce n’est pas Goriot (tout au plus un contre-exemple de ce qu’on pourrait devenir) mais le personnage énigmatique Vautrin. Cet individu, présent dans le cycle balzacien sous une autre identité, est l’incarnation tout au long du roman d’un oxymore. Il est à la fois élégant et brutal et se situe entre le gentleman et le bandit. Et en ça, le livre porte sur les apparences et notamment comment l’Argent peut jouer dans ces mêmes apparences. Je pense notamment aux femmes parisiennes qui jouent un double jeu avec en tête de ligne, la dame de Nucingen. Celle-ci ancrée dans les milieux mondains refuse de regarder en arrière et d’être reconnaissante envers son propre père. Cela provoquera d’ailleurs une mésentente compréhensive entre Delphine et Eugène, décidément le seul à penser au père Goriot ! Leur histoire d'amour grandissant est non seulement obstrué par leur différence sociale mais également par l'abandon total dont fait preuve Delphine concernant le sort de son père qui dérange notre jeune protagoniste. Mais ce qu’Eugène n’a pas encore compris du fait de sa jeunesse, c’est que l’Argent est au-dessus des caractéristiques, il dicte les attitudes et domine les relations.
Tous ces thèmes se combinent à la magnificence du style de Balzac caractérisée par un narrateur au-dessus de tous ces personnages saisissants. Ils nous donnent un des meilleurs romans d’apprentissage avec en première ligne une relation puissante entre deux hommes qui sont à des tranches d’âge différentes et qui pour autant vont apprendre de l’autre. À lire absolument.
Je terminerai cette critique en mettant l'une des plus belles phrases d'amour prononcée par Delphine, c'est cadeau !
"Mon père m'a donné un cœur, mais vous l'avez fait battre."