Une scène du monde
Le Pont sur la Drina est roman-chronique qui se déroule sur quatre siècles, le temps d'un pont qui relie Bosnie et Serbie, autour de la petite ville de Višegrad et de sa population hétérogène. Avec...
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le 23 juin 2022
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La littérature serbo-croate nous est plutôt inconnue en France. Naturellement, cette confidentialité a suscité ma curiosité ; j'ai donc effectué quelques recherches pour savoir quels sont leurs grands auteurs. Je suis tombé sur Ivo Andrić, un écrivain qui officie dans le domaine du roman historique. (Apparemment, nombre d'entre eux ont travaillé sur des romans historiques rigoureux et originaux lors du XXème siècle, ce qui fait de la littérature d'ex-Yougoslavie une référence en la matière.) Ivo Andrić est le plus connu, car il est le seul à avoir obtenu, en 1961, le prix Nobel. C'est un bosniaque d'origine croate qui se sentait profondément serbe.
Le Pont sur la Drina est un roman qui raconte quatre siècles de vie à Višegrad, une bourgade de Bosnie-Herzégovine à la jonction de la Serbie. Une ville où se croisent les trois monothéismes, des oppresseurs, des opprimés, des révoltés, des gens simples, etc. de la construction du pont sur la Drina au XVIème siècle jusqu'à sa destruction lors de la première guerre mondiale.
Il s'agit là de chroniques écrites dans un style relativement dépouillé (ce qui n'a jamais vraiment été ma tasse de thé), mais un style suffisamment brillant pour payer le voyage à Višegrad, par exemple comme dans ce magnifique extrait digne des écrivains dits "des grands espaces" :
"Chacun peut, à toute heure du jour ou de la nuit, venir à la kapia et s'asseoir sur le sofâ, ou s'y attarder pour régler quelque affaire ou bavarder. Formant saillie à près de quinze mètres au-dessus de la rivière verte et mugissante, ce sofâ de pierre plane dans le vide, surplombant l'eau, entouré de collines vert foncé sur trois côtés, avec le ciel et les nuages ou les étoiles au-dessus de lui, mais aussi l'horizon dégagé en aval de la rivière, tel un amphithéâtre étroit que ferment dans le fond les montagnes bleues." (éd. Le Livre de Poche p.16)
La construction est épisodique. Elle passe de la grande Histoire à la petite, de l'intime au commun. L'approche est belle, intéressante, bien qu'elle amène à mon sens un défaut, à savoir que les enjeux entre les chapitres ne se valent pas toujours. Les grands moments historiques ont éclipsé pour moi certaines histoires plus personnelles, faisant varier mon intérêt pour le livre. Néanmoins, Andrić explore un spectre très large des sensibilités, et cela reste impressionnant. Il a fait de son travail un livre à la fois violent, calme, beau, mouvementé, touchant, révoltant, légèrement onirique grâce à une dimension légendaire, un voyage enrichissant. Un tout qui raconte peut-être plus simplement "la philosophie innée des habitants de Višegrad" :
la vie est un prodige incompréhensible, car elle s'use sans cesse et s'effrite, et pourtant dure et subsiste, inébranlable, "comme le pont sur la Drina". (p. 88)
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le 15 juil. 2018
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