Au delà de l'immense réputation dont jouit le Portrait de Dorian Gray, j'avoue avoir été surtout attiré par son aspect critique d'un milieu social, peut être du fait d'un caractère un peu malsain, bourru, atrabilaire voire un peu misanthrope, allez savoir.
Petit aparté, j'ai d'ailleurs comme l'impression que cette volonté de mettre à nu certaines catégories de la population est une caractéristique commune à de nombreuses œuvres littéraires datant du XIXe siècle, que l'on évoque certains travaux de Dostoïevski (Le Double), Gogol (Nouvelles de Pétersbourg) ou encore du français Maupassant. Mais je m'y connais encore trop peu en belles lettres pour affirmer cela de manière péremptoire. C'est donc juste une supputation de mon humble personne.
Et sur ce point, je suis sorti repu du plat que nous sert Oscar Wilde. La charge envers cette « aristocratie »d'esthètes n'est pas héroïque comme celle de Ford ou fantastique comme celle de Walsh, mais légère, précise, tout en prenant un ton tantôt cynique tantôt ironique pour mettre en exergue cette superficialité, cette futilité qui prédomine dans ce milieu social.
Une existence dominée par l'oisiveté, commençant la journée en se levant tard, puis passant le reste de la journée à assister à des représentations artistiques et en se joignant à nombre de dîners mondains où la pseudo discussion est reine et où les talents rhétoriques prennent le pas sur la profondeur en épatant le quidam, où le paraître paraît plus important que l'être.
Pour autant, le Portrait de Dorian Gray ce n'est pas qu'une diatribe sociétale, c'est aussi l'occasion de réflexions nombreuses et intéressantes sur le plaisir, le bonheur, la beauté, la jeunesse, la vie, le bien et le mal ou encore sur l'art.
Bien entendu, le Portrait de Dorian Gray n'est pas exempt de narration et repose sur une intrigue où s'entrecroisent plusieurs personnages. L’œuvre de Wilde pourrait être vue comme une adaptation libre du mythe faustien, où un individu est prêt à tout sacrifier, faire don de lui même pour rassasier sa petite personne. Ici, c'est un certain Dorian Gray, narcisse victorien, qui vend en quelque sorte son âme au malin. Jeune, doté d'une beauté parfaite, mais ne souhaitant pas perdre ce qui fait de lui ce qu'il est, transpose le vieillissement dû à son âge et la pourriture de son essence, dans un portrait qui a été fait de lui afin de garder son immaculée jeunesse éternellement. Tableau qui sera finalement, le reflet de son âge et de son âme.
C'est en fait la décadence, la dégénérescence d'un Dr Jekyll & Mr Hyde, une lente mais sûre plongée dans les vicissitudes de l'immoralité.
Toutefois, ces « deux » protagonistes ne seront pas les seuls du roman. On peut évoquer entre autre le touchant peintre Basil Hallward fasciné par la beauté de Dorian et surtout Lord Henry, gourou, inspirateur de Dorian Gray, véritable maître de la sophistique et habile rhétoricien, hédoniste exubérant, fieffé manipulateur, qui déclame des aphorismes à un rythme ahurissant. Sans doute un des personnages que j'aime le plus dans la littérature et indubitablement zèbre le plus savoureux du roman.
Le tout est bien entendu accompagné d'une sublime plume, raffinée, ciselée, aérienne, aux côtés parfois théâtraux mêlant réalisme et fantastique, tantôt agaçante (ces pages de descriptions …) tantôt captivante voire délectable. Oscar Wilde écrit bien, et il le sait. Je comprends donc qu'on puisse ne pas accrocher, mais il faut bien le dire, stylistiquement, il met la barre assez haute le bougre de britannique.
Enfin bref, voilà quelques mots pour conseiller à ceux n'ayant pas encore ouvert ce roman de la faire dans les plus brefs délais.
Un grand moment de littérature.