Pas seulement mal écrit et narcissique mais potentiellement dangereux

 Loin de moi l’idée de heurter la sensibilité de quiconque et vu que cet avis sera assez violent ami-lecteur, laisse-moi te mettre un tantinet en garde : si l’œuvre d’Eckhart Tolle est importante pour toi, que ses écrits t’aident d’une quelconque façon, alors ne lis pas ce qui suit. Je n’y vais pas vraiment avec le dos de la cuillère. Tu es resté ? Très bien ! 
*Le Pouvoir du Moment présent* a pour but de nous permettre de trouver la paix intérieure. Étant moi-même méditante, je sais que se concentrer sur le « ici et maintenant » est une pratique puissante. C’est pour cette raison que, lors d’une virée dans une librairie de ma ville, j’ai acheté le livre si plébiscité de monsieur Tolle. Avant toute chose, le bouquin nous offre une préface de l’éditeur. Et ça commence déjà moyen :

Dès les premières pages de cet ouvrage, il est clair que son auteur, Eckhart Tolle, est un maître contemporain. (p. 7)


Bon, là je me suis dit que je ne devais pas m’agacer pour si peu. Déjà parce que dans le domaine du développement personnel américain, l’hyperbole semble un passage obligé… Bon il devrait quand même y avoir quelques limites :


Au cours des dix dernières années, il est devenu un enseignant de classe mondiale, une grande âme qui apporte un message extraordinaire, tout comme Jésus et Bouddha l’ont fait avant lui, à savoir que l’éveil spirituel est accessible ici et maintenant. (p. 8)


Ou encore :


On l’a déjà qualifié de chef-d’œuvre. Peu importe comment on le décrit, il a le pouvoir de changer nos vies, de nous amener à réaliser totalement ce que nous sommes. (p. 9)


 Comme je le mentionne plus haut, il ne s’agit ici que des mots de l’éditeur dont le but, ne nous voilons pas la face, est de vendre le plus d’exemplaires possibles du dit « chef d’œuvre ». Quand je suis passée à l’avant-propos, j’ai espéré un texte moins ridicule. On doit ce dernier à un certain Russell E. DiCarlo, inconnu en France et qui, semble-t-il, a écrit un bouquin offrant des entretiens autour de la spiritualité. Ici, il évoque une remise en question des « éléments tenus pour acquis par la société occidentale ». Passons sur le fait que ces « mythes » ne sont pas, je pense, tenus pour acquis... Il tente donc de les remettre en question mais sans preuve car il explique, il ne montre pas et démontre encore moins. Tout au long de son discours il essaie de « prouver » que si, si c’est vrai. Pour cela il cite par exemple un certain Docteur Larry Dossey qui, à première vue, ne semble pas avoir effectué de vraies recherches mais a juste sorti un bouquin sur l’influence supposée des prières d’un individu sur la physiologie d’un autre. On dirait vraiment qu’il essaie de se justifier avec des « ah ben lui aussi il l’a dit, puis il est médecin ! ». Sincèrement, je n’ai rien contre les croyances sauf que monsieur DiCarlo tente de faire passer la foi pour de la science :

Selon les principes connus de la physique et de la vision du monde de la science traditionnelle, ceci ne peut pas se produire. Et pourtant, les preuves sont là pour démontrer le contraire. (p. 13) Quelles preuves punaise ? QUELLES PREUVES ?!


 Bon au moins cela a remis les choses en ordre : *Le pouvoir du moment présent* est un bouquin de spiritualité qui ne fera pas appel aux sciences mais à la croyance.
À ce stade, j’ai essayé de me raisonner, oui la préface et l’avant-propos m’avaient estomaquée et je craignais la suite mais il ne s’agissait pas de textes de monsieur Tolle. Peut-être que ce dernier a simplement des amis un tantinet portés à l’exagération et à la bêtise… Non ?
Hélas, dès le premier paragraphe j’ai compris que cette lecture serait étrange :

Le passé ne m’est pas d’une grande utilité et j’y pense rarement. Cependant,j’aimerais vous raconter rapidement comment j’en suis venu à devenir un guide spirituel et comment ce livre a vu le jour. (p. 19)


 Encore une fois, j’ai essayé de garder mon sang-froid, la formulation « guide spirituel » n’a peut-être des connotations orgueilleuses que dans mon esprit. Je me suis donc attelée à lire son expérience spirituelle, celle qui a changé sa vie. Monsieur Tolle, jeune homme alors angoissé et sujet à des épisodes dépressifs s’est réveillé une nuit, complètement désespéré et angoissé. Ensuite :

Puis je me sentis aspiré par ce qui me sembla être un vortex. (p. 20)


 Après cela, il s’est senti en paix, comme détaché de tout sauf du moment présent. Du coup, il s’est plus ou moins coupé de tout ce qui faisait sa vie d’avant. Pour finalement partager son expérience :

En un rien de temps, je me retrouvai de nouveau une identité. J’étais devenu un enseignant spirituel.(p.22)


  Il va de soi que je ne me permettrais en aucun cas de remettre en question le ressenti de monsieur Tolle et je suis bien contente pour lui d’avoir toujours la sérénité. Vraiment. Sauf que se faisant, il part du principe qu’il a acquis LA vérité, LE chemin pour trouver la paix. Mais ce qui me gêne encore plus c’est qu’il n’a aucun doute :

Le symbole § qui apparaît après certains passages vous invite à vous arrêter de lire pendant un petit moment, à vous immobiliser et à sentir en vous la vérité tout juste énoncée. (p. 24)


 Je te le dis ami-lecteur, monsieur Tolle n’a pas seulement trouvé la paix avec le coup du vortex, il a trouvé le narcissisme. Régulièrement dans son ouvrage, il se pose en supérieur, celui qui sait mieux que tous les autres, même à propos de croyances ancestrales :

Quand je réfère à ces vieilles religions ou à d’autres enseignements, c’est pour souligner leur signification profonde et par la même occasion leur restituer leur pouvoir transformateur, en particulier pour les lecteurs adeptes de ces religions ou de ces enseignements. Je leur dis qu’ils n’ont pas besoin d’aller ailleurs pour trouver la vérité et leur montre comment approfondir ce qu’ils ont déjà à leur disposition. (p. 26)


 Tu as la foi ami-lecteur ? Et tes croyances ne coïncident pas avec les propos de monsieur Tolle ? Ben cherche pas, c’est toi qui comprends mal ta religion :

Même les hommes qui ont rédigé les Évangiles ne comprenaient pas le sens de ces paraboles. C’est ainsi que les premières fausses interprétations et les distorsions se sont insinuées dans les Écritures. Avec, ultérieurement, d’autres fausses interprétations, le véritable sens des paraboles s’est complètement perdu. Ces paraboles ne traitent pas de la fin du monde mais de la fin du temps psychologique. Elles font référence à la transcendance de l’ego et à l’idée qu’il est possible de vivre dans un état de conscience entièrement nouveau. (p112)


 Et comme tous ceux qui pensent détenir LA vérité, il est certain d’être le seul :

On peut considérer ce livre comme l’expression, à cette époque-ci, du seul et unique enseignement spirituel intemporel, qui est l’essence même de toutes les religions. (p26)


  Il va encore plus loin en méprisant ceux qui n’ont pas trouvé cette paix qu’il est un des seuls – soit-disant- à pouvoir apporter :

Ceux qui n’ont pas trouvé leur véritable richesse, c’est-à-dire la joie radieuse de l’Être et la paix profonde et inébranlable qui l’accompagnent, sont des mendiants, même s’ils sont très riches sur le plan matériel. (p. 28)


 Coucou ami-mendiant…
Je l’avoue, tout sentait mauvais le narcissisme. Mais pas seulement… On croise un peu de stigmatisation des troubles mentaux :

Il vous est certainement déjà arrivé de croiser dans la rue des déments qui parlent sans arrêt tout haut ou tout bas.(p. 33)


De sexisme :


« Les obstacles sur le chemin de l’illumination sont-ils les mêmes pour les hommes que pour les femmes? » Oui, mais de manière différentes. Dans l’ensemble, il est plus facile pour une femme de sentir son corps et de l’habiter. (p. 181)


Ou :
Ce qui reste vrai cependant, c’est que la fréquence énergétique de l’esprit semble essentiellement de nature masculine. (p. 182)


Ah on a aussi une dosette de racisme :


Par exemple certaines races ou certains pays au sein desquels des formes extrêmes de lutte et de violence se produisent ont un corps de souffrance collectif plus chargés que d’autres.


 Narcissisme, sexisme, racisme,… du coup les bonnes idées qui se trouvent dans l’ouvrage semblent anecdotiques à côté. Hélas, *Le Pouvoir du Moment présent* n’est pas seulement un texte limite qui se contente de reprendre une pratique déjà très bien présentée par d’autres… Nan, c’est à mon sens, un bouquin dangereux. Tout au long des 246 pages, l’auteur nous explique que tous nos soucis viennent du fait qu’on ne vive pas dans le présent. Même les maladies :

Nombreux sont les gens qui vivent avec un bourreau dans leur tête qui les attaque et les punit sans cesse, leur siphonnant ainsi leur énergie vitale. Ce tyran est à l’origine des innombrables tourments et malheurs, ainsi que toute maladie. (p. 34)


Ou :


Je fais ici surtout référence à la souffrance émotionnelle, également la principale cause de la souffrance et des maladies corporelles. (p. 48)


 Tu as compris ami-lecteur ? non tu ne te coltines pas une thyroïdite d'Hashimoto à cause d’une probable altération génétique ou la mononucléose à cause d’un virus, nan nan, c’est parce que tu n’as pas trouvé la paix intérieure.
Après tout cela, on pourrait espérer que le débat est quand même possible mais non... Ainsi quand il avance que le fait d’être seulement dans le moment présent ralentirait physiologiquement le processus de vieillissement, il fait mine de répondre aux questions de son supposé lecteur :

« Existe-t-il des preuves scientifiques de cela ? »
Essayez, et vous en serez la preuve.


 Vu que j’aime bien être paresseuse je vais me contenter de faire parler Euclide à ma place : Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve.
Finalement il est un peu facile d’estampiller un bouquin « Guide d’éveil spirituel » pour s’affranchir de tout besoin d’argumenter, d’étayer ses propos ou de prouver des soit-disants faits scientifiques. Et c’est encore plus facile de ramener tout doute à l’excuse au combien fallacieuse de « tu comprendras quand tu auras vécu l’éveil ». Je médite, je pratique la CNV, j’essaie de ne pas rester fermée sur mes certitudes et je ne braderais jamais ma raison et mon esprit critique contre les dires d’un gourou qui manque non seulement de bienveillance mais aussi, à mon avis, de scrupules.
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le 22 avr. 2022

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