« Le pouvoir du moment présent » est une sorte de guide spirituel dont l’enseignement pourrait se résumer à une chose, qu’on pourrait deviner rien qu’au titre : concentrez votre vie sur le présent. La réflexion est bien sûre plus aboutie, et rejoins la sagesse orientale en y conciliant une interprétation hétérodoxe des écrits bibliques.


Le livre est, malgré son fond passionnant, difficile à lire. Surprenant, pour ce qui est vanté comme « un des livres les plus importants de notre époque ». Redondant par endroits, conscient que ses mots sont loin de dépeindre la réalité mais les étalant sur des kilomètres, Eckhart Tolle n’est pas simple d’accès. Ce côté insaisissable est peut-être volontairement exagéré pour mettre en avant la relation de maître à élève…


Pour résumer, il est possible d’atteindre un niveau de conscience supérieur, un état de paix profonde et de joie, en mettant de côté son mental : c’est « l’illumination ». Le mental dont on doit se débarrasser, c’est cette construction de l’ego, la petite voix qui pense quasiment sans discontinuer dans notre tête. Une voix qui se concentre sans cesse sur le passé, d’où elle tire l’identité, ce qu’on croit (à tort) être ; mais aussi sur le futur, où elle maintient en vie l’espoir que la vie s’améliorera ou angoisse de ce qui peut arriver. L’identité est dépeinte comme une illusion entretenue par l’ego qui empêche d’atteindre l’illumination. Conséquence : le mental ne vit jamais dans le présent, contrairement à la conscience profonde. Vivre dans le présent comme une fin en soi, atteindre un haut degré de « présence » voilà le message du livre.


Facile à dire, certes. Rien qu’ici, on doit donner quelques précisions. Déjà, vivre dans le présent n’interdit pas de penser au futur quand c’est nécessaire et de se fixer des objectifs. Se critiquer, éprouver des remords ou ruminer un objectif lointain, en revanche, ce n’est pas vivre dans le présent. Exemple extrême d’un enfer sur Terre dû à la concentration sur un but éloigné : le communisme, où la construction d’un futur idéal a justifié des millions de morts… De plus, ce sentiment de complétude est déjà en chacun, et on l’a déjà souvent atteint dans certaines situations particulières. Il est l’opposé de l’inconscience ordinaire, qui est une sorte de bruit de fond parasite de l’âme. Enfin, nier son corps pour se concentrer uniquement sur l’esprit n’est pas une solution pour atteindre une illumination durable, même si ce détachement peut en donner un aperçu.


Se libérer du mental passe par plusieurs étapes, qu’on pourrait résumer par la notion de « lâcher-prise » bien connue dans le monde du développement personnel. L’idée est que ce n’est pas une situation qui crée la souffrance (peur, angoisse, etc.), mais la perception de cette situation. Arrêter la négativité, mettre un terme au ruminement de pensées qui font souffrir, c’est libérer sa conscience profonde, qui saura alors trouver un moyen de sortir de la situation. Ou, si elle n’a pas d’emprise sur la situation, se concentrer sur des choses plus positives. Pas d’ego, pas d’identification à sa souffrance, pas de conflit intérieur !


Les émotions apparaissent dans cette réflexion comme les manifestations physiques du mental sur le corps. En temps normal, chacun est soumis à un cycle de souffrance-plaisir ; mais en parvenant à l’illumination, il est possible de trouver une paix intérieure durable. Certaines drogues peuvent donner un aperçu d’un mental en veilleuse, mais ne permettent pas d’accéder à la joie continue car elles créent de la dépendance. L’amour peut aussi devenir une fausse complétude à base de dépendance qui s’inscrit dans le cycle de souffrance-plaisir. L’expérience de mort imminente est aussi une porte vers une conscience extrêmement pure, avec un mental complètement absent.


La théorie est assez étoffée. Ainsi, on apprend que l’acte créatif est fait d’allers-retours entre le vide mental et la pensée ; que la vie ne se résume pas à des conditions de vie ; que le corps n’est que l’expression d’un processus dynamique et non un moi inaltérable ; que l’éternité est une absence de temps plutôt qu’un temps infini ; que le rien n’existerait pas sans les choses et vice-versa ; que les femmes peuvent atteindre plus rapidement l’illumination en se détachant du « corps de souffrance collectif féminin »… Je ne rentrerai pas plus loin dans les détails.


L’auteur propose par moments des exercices pour mettre en pratique ses mots qu’il désigne lui-même comme de simples pancartes :
- « Observer le penseur » : observer sans juger les pensées qui viennent à l’esprit.
- Attendre, tel le chat guettant une souris, la prochaine pensée.
- Sentir son corps énergétique de l’intérieur le plus souvent possible. (Cet exercice est censé aider à vieillir moins vite et à stimuler le système immunitaire.)
- Devenir « transparent » à ce qui engendre la négativité : ne pas réagir au négatif mais juger la situation avec détachement.
- « Mourir avant de mourir » (exercice de niveau avancé) : imaginer un état de conscience sans mental, de détachement complet, où l’ego meurt mais où l’âme/l’énergie intérieur subsiste.


L’auteur conclut son livre de manière abrupte, alors qu’il aurait pu finir par un enseignement pertinent qu’il donne vers la moitié de l’ouvrage : avoir un maître est une bonne chose pour atteindre l’illumination, mais une relation de dépendance ne doit pas s’installer. Il ne reste donc qu’à mettre l’enseignement en pratique… Surtout qu’à en croire le livre, l’éveil massif des individus sonnerait le glas de la fin de la société de consommation. De mon côté, je suis partant.

ChevalierPetaud
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le 16 juil. 2017

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