Tout d'abord attiré par la très belle couverture de ce solide pavé de presque 1000 pages, la lecture de la quatrième de couverture m'a convaincu d'en faire l'acquisition sans attendre.
Le monde est ici partagé en plusieurs royaumes (ou reinaume comme les nomme l'auteure) situés sur deux continents principaux, à l'ouest et à l'est. Deux très jolies cartes inaugurent le roman, indispensables tant je m'y suis souvent référé, et permettent de situer géographiquement tout cet ensemble. Les deux continents vivent sous embargo l'un vis-à-vis de l'autre, des divergences religieuses les ayant séparés depuis des siècles. A l'ouest, le règne de la Vertu, sorte de catholicisme à la sauce fantastique mais pétri d’intransigeance, dont la quintessence est représentée par le reinaume d'Inys. A l'est, une relation plus en phase avec les éléments naturels et animaux suggère fortement la Chine et le Japon pour ce qui est de son voisin insulaire. Le lecteur se retrouve ainsi dans un monde imaginaire mais sur des fondements réels qu'il connaît bien. Les codes sont d’autant plus faciles à mettre en place. Tous les bons ingrédients sont réunis pour une excellente histoire : religions opposées, société secrète, dragons et fin du monde. Mais cela requiert en outre le talent de la plume et Samantha Shannon la possède manifestement.
L'auteure situe son action autour d'une poignée de personnages principaux et quatre narrateurs se partagent donc le récit. Deux résident à l'ouest (Ead et Loth) de deux autres à l'est (Tané et Niclays). Chaque chapitre débute d’ailleurs par la mention "est" ou "ouest", ce qui facilite grandement la compréhension.
Pour une fresque historique aussi importante, et cela semble normal, la mise en place est un peu longue et l'intérêt ne croît que progressivement. Néanmoins, une fois que tout est bien mis en place, le plaisir de la lecture prévaut. On s'attache de plus en plus aux personnages tellement les relations entre eux (mais je devrais dire "elles" tant les figures féminines puissantes sont prégnantes) sont subtiles. A cet égard, je n'ai jamais lu de roman qui met en scène une relation saphique aussi belle. L'émotion est souvent eu rendez-vous, à tel point que j'ai dévoré 500 pages en une seule journée. Il faut dire que l'intérêt, qui grandit sans cesse, ne décroît nullement à l'approche du dénouement.
D'ailleurs, s'il devait y avoir un léger bémol dans ce magnifique ensemble, sans divulgâcher aucunement, ce serait à ce niveau-là qu'il se situe. En effet, alors que la situation générale atteint un point critique de tension, nombre de nœuds (historiques, religieux, militaires) se dénouent bien facilement. Dans un monde aussi pétri d'intolérance, certains esprits semblent bien ouverts face aux changements et la résolution de nombre de difficultés me semble un peu facile.
En dépit de ce dénouement qui semble bien lubrifié, le Prieuré de l'Oranger est un régal et l'épilogue se savoure comme un fruit bien juteux et plein d'énergie. Voici une lecture qui revigore !