"Ma blessure a pour nom géographie. Elle est aussi mon ancrage, mon port d'attache."

C'est par ces quelques mots que Pat Conroy ouvre et résume fort bien son roman fleuve (plus de 1000 pages en poche) ; deux phrases simples, mais qui ont su dans l'instant capter mon attention pour ne plus jamais la perdre.
Par "géographie", il faut entendre Caroline du Sud, véritable "personnage" du récit, tant elle est présente, vivante, et passionnément dépeinte. L'amour de Conroy pour cette terre transpire à chaque page, contamine le lecteur et lui donne la fièvre sudiste, au point de nous donner envie, à nous aussi, d'aller pêcher la crevette dans ses marais salants.

Mais le roman de Conroy est aussi l'histoire magnifique de Tom, Savannah et Luke Wingo, racontée par le premier nommé de cette fratrie avec une verve éclatante. C'est le récit d'un incroyable lien familial entre ces trois-là, qui prennent littéralement vie dans notre esprit, de leurs péripéties et douces folies, à nous faire baver d'envie d'être un Wingo et de partager leur complicité unique. Dans le même temps, c'est aussi le récit d'une "blessure" aux composantes multiples, qui couve dès les premiers mots et enfle jusqu'à sa révélation dans des mots quasi insoutenables, mais hypnotiques tellement Conroy a su au fil des pages nous attacher à ses personnages, au point qu'on en crève de douleur avec eux.

A ses talents de conteur, Conroy ajoute un véritable sens du rythme dans ses phrases (bravo également à Françoise Cartano pour l'excellence de sa traduction), au point que les phrases semblent couler comme de l'eau dans nos esprits ravis (seul Barjavel m'avait fait en son temps cette impression, certes très personnelle). Il a l'art de l'adjectif idéal, inattendu, autant que de la métaphore colorée qui sonne toujours juste.

Tout m'extasie dans ce roman, donc, de l'histoire mouvementée et profondément addictive à la façon magistrale dont elle est contée, en passant par la consistance de ces personnages complexes et forts attachants. Si l'un des Wingo est le prince des marées, Conroy, de son côté, est un prince de la littérature américaine. On en sort l'âme sudiste, et heureux de la cicatrice permanente qu'il laisse en nos coeurs. A moins qu'on n'en sorte pas vraiment...

Morceau choisi :

"C'est ma soeur qui m'a contraint à affronter mon siècle, et c'est grâce à elle que j'ai fini par me libérer suffisamment pour pouvoir regarder la réalité des jours vécus au bord du fleuve. Je vivais depuis trop longtemps à la surface de la vie, et elle m'a entraîné doucement dans les eaux profondes où toutes les épaves, tous les squelettes, toutes les coques noires attendaient mon inspection hésitante."
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le 24 juin 2013

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