Le Puits
7.6
Le Puits

livre de Iván Repila (2013)

«-Impossible de sortir on dirait, dit-il. Puis il ajoute : Mais on sortira.»


Deux frères, le Grand et le Petit, sont prisonniers, tombés on ne sait comment dans un puits de sept mètres de profondeur au cœur de la forêt. Ils ont avec eux un sac contenant une miche de pain, des tomates séchées et des figues. Mais c’est la nourriture de leur maman et le Grand a décrété qu’ils n’y toucheraient jamais. Alors les deux frères raclent les asticots sur les parois du puits et boivent l’eau de pluie, ils dépérissent peu à peu dans ce trou, au bord duquel les loups viennent rôder la nuit.


«- Je ne veux pas dormir tout de suite. Ça me fait peur.
- Pourquoi ?
- Parce que je fais des rêves… des rêves bizarres. Je rêve que je mange des choses que je ne devrais pas manger. Je rêve de maman. Mes rêves sont horribles…
- N’aie pas peur des rêves, ils ne sont pas réels. Ce sont des pensées qui se mélangent dans nos têtes, des souvenirs qu’on ne peut pas exprimer avec des mots. Si tu rêves que tu manges, ca veut dire que tu as faim, c’est tout. Si tu rêves que tu voles, ça veut dire que tu veux rentrer à la maison… D’accord ?
Le Petit fait oui du menton. Les mots de son frère le tranquillisent ; il ferme les yeux. Avant de s’endormir, il lui demande dans un filet de voix :
- Et rêver que je mange maman, ça veut dire quoi ?»


Le Grand et le Petit s’entraident et s’insupportent. Et la folie peu à peu emporte le Petit, qui réinvente un monde fait d’hallucinations à l’intérieur du puits.


«-Si je voulais, dit le Petit, couché sur le dos, les bras écartés comme un crucifié, je pourrais changer l’ordre des choses. Je pourrais déplacer le soleil pour qu’il nous réchauffe en fin d’après-midi et qu’on n’ait plus froid après la sieste. Je pourrais rapporter jusqu’ici les odeurs du village : nos narines s’empliraient de pain encore chaud, de gâteaux aux pommes, de chocolat. Je pourrai construire un escalier en colimaçon qui irait du puits jusqu’aux arbres, puis se transformerait en rampe pour qu’on puisse redescendre d’un petit saut, sans se faire mal. Je pourrais transformer l’eau en lait, les insectes en poule et les racines en réglisse. Mais je n‘en ai pas envie. Je veux rester là. Ne rien faire. Ça me suffit si l’univers tourne autour de moi. C’est notre sort à nous, les morts.»


S’entraider, survivre, se venger.
Ce premier roman, conte saisissant de l’espagnol Iván Repila, paru en 2013 (traduction Margot Nguyen Béraud chez Denoël en 2014), est un puits d’où les métaphores qu’on puise semblent ne pas se tarir.

MarianneL
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 1 déc. 2014

Critique lue 990 fois

3 j'aime

MarianneL

Écrit par

Critique lue 990 fois

3

D'autres avis sur Le Puits

Le Puits
MarianneL
7

Métaphore sans fond.

«-Impossible de sortir on dirait, dit-il. Puis il ajoute : Mais on sortira.» Deux frères, le Grand et le Petit, sont prisonniers, tombés on ne sait comment dans un puits de sept mètres de profondeur...

le 1 déc. 2014

3 j'aime

Le Puits
Cannetille
6

Un ouvrage interpellant, pas si accessible que cela…

Piégés, semble-t-il par leur mère, au fond d’un puits creusé dans la terre, deux enfants, simplement désignés le Grand et le Petit, doivent organiser leur survie jusqu’à trouver le moyen de regagner...

le 24 janv. 2023

2 j'aime

Le Puits
boobsi
9

Critique de Le Puits par boobsi

2 enfants, le Petit et le Grand sont au fond d'un puits de 7 mètres de profondeur, au fin fond de la forêt. Ils ont avec eux un sac de victuailles, destinées à leur maman. Ils s'interdisent d'y...

le 30 janv. 2020

1 j'aime

Du même critique

La Culture du narcissisme
MarianneL
8

Critique de La Culture du narcissisme par MarianneL

Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de Christopher Lasch n’est pas du tout une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la...

le 29 déc. 2013

36 j'aime

4

La Fin de l'homme rouge
MarianneL
9

Illusions et désenchantement : L'exil intérieur des Russes après la chute de l'Union Soviétique.

«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos cœurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de...

le 7 déc. 2013

35 j'aime

Culture de masse ou culture populaire ?
MarianneL
8

Un essai court et nécessaire d’un observateur particulièrement lucide des évolutions du capitalisme

«Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous...

le 24 mai 2013

32 j'aime

4