La Beyrouth d'un Parisien exilé
Plongée dans une de ces guerres dont on ne se remémore que peu, « Le Quatrième Mur » est l’un de ces livres qu’on a vraiment envie d’apprécier, mais qui en fait tellement trop parfois qu'il finit par décrédibiliser ce qu'il a construit.
C’est l’histoire d’un de ces jeunes gauchistes post-68, Georges, aimant manifester et défendre les causes perdues à travers le monde. Une défense purement théorique, qui agacera son ami Samuel, juif de confession, et dont la famille fut décimée pendant la Seconde Guerre Mondiale. Deux mordus de littérature, de théâtre et de pacifisme. Et un jour, Samuel décide de faire une représentation d’Antigone, d’Anouilh, au Liban, pays en proie à de très fortes tensions communautaires (et à la situation politique interne très trouble). Le projet ayant pour but de montrer l’intemporalité de certaines pièces, ainsi que l’application de leur morale, de leurs idées à d’autres contextes que ceux pour lesquelles elles étaient conçues. C’est très louable, mais Samuel, malade, ne pourra mener son projet à bien, et déléguera donc la tâche à Georges, le Parisien gauchiste qui va aux manifs pour rire avec les copains, pour caricaturer.
Et le Quatrième Mur, c’est donc l’histoire de la confrontation entre les idéaux moraux, et la guerre. Entre les idées naïvement pacifiques et le pragmatisme du combattant, du peuple qui souffre depuis trop longtemps.
Et le premier intérêt de ce bouquin, c’est donc son cadre, plutôt méconnu et extrêmement complexe (une multitude d’acteurs impliqués, entre les Chrétiens, les Israéliens, les Druzes, les Chiites et les Palestiniens, tout cela au Liban donc). Et Sorj Chalandon plante très bien le décor, comme s’il l’avait vécu (puisqu’il fut longtemps journaliste) : ses descriptions suintent la poussière, la crasse, la laideur de la guerre en fait, et ses talents combinés de journaliste et d’écrivain font qu’on croit à cette guerre et à ses enjeux, même si on la découvre au travers de ce livre.
Mais le cœur du bouquin, c’est cette inspiration d’Antigone, sujet abordé en long et en large au fil des pages. L’œuvre sera disséquée, analysée et mise en perspective, au travers des personnages, avec la situation du Liban, chacun y voyant la légitimation de son peuple au travers des différents personnages. Surtout que chacun de ceux-ci doivent être incarnés par des comédiens issus des différentes ethnies en guerre, tout un symbole. Pour que chacun finisse par se fondre dans son rôle, et que les destins de l’homme comme de son personnage finissent par se fondre. L’idée est belle, l’exécution intéressante, mais tellement peu subtile.
Parce que l’auteur met bien trop l’accent sur cette comparaison, du titre des chapitres (généralement bien nommés bien d’ailleurs) aux dialogues un peu trop forcés pour amener ces réflexions. Et c’est justement quand le lecteur parvient à percevoir certaines métaphores que Chalandon finit par les expliquer et à les analyser, brisant toute leur subtilité, toute leur incertitude. Et tout le « jeu » entre le lecteur et son livre.
Tout est trop théâtral, emphasé, décrit en fait. Pourquoi pas si le récit cherche à se fondre dans une pièce de théâtre, c’est vrai, mais le ton trop cérémonieux, sentencieux de l’ensemble devient vite pénible dans un roman. Le tout est accentué par le manque de profondeur des personnages, trop vite esquissés, mais jamais vraiment développés, si ce n’est le héros. Et quand bien même leurs idées/opinions viendraient à changer, le glissement est trop brutal, caricatural, et encore une fois théâtral.
Ce qui fait qu’on se retrouve avec un contexte crédible et superbement décrit, mais avec des personnages plutôt creux qui plombent sérieusement un scénario pourtant surprenant et intelligent. Enfin, et même si Sorj Chalandon a une plume efficace, mais capable de quelques virtuosités bien senties, son style très nerveux et saccadé impose peut-être un rythme trop rapide et étouffant à son roman. C’est peut-être voulu, mais un peu fatigant.
Dans l’absolu, c’est un roman plein de bonnes idées, mais qui tend trop à surjouer un peu tout : la métaphore qui constitue le scénario, les personnages, les péripéties et même parfois un peu le style littéraire. C’est cependant une lecture qui interpelle, fait réfléchir sur le rôle que peut avoir la culture dans une société et qui se dévore assez vite grâce à son scénario bien mené.