« Mais bon sang, me dis-je en refermant le livre, je me demande si je ne l’aurais pas déjà lu, celui-là. Je me souviens vaguement de cette histoire de plan à trois ». Vérification faite oui, en 2014. Enervant. Mais symptomatique de ces romans qui ne laissent aucune trace – ou presque donc. C’est d’ailleurs ma motivation principale pour rédiger ces critiques : ne pas oublier ce que je vois ou lis…
Le rabaissement se présente comme un drame en trois actes.
Acte 1, le constat du problème : l’ex-star du théâtre Simon Axler ne parvient plus à jouer, il a perdu toute confiance en lui, se sent désormais étranger à l’acteur qu’il est censé être. Il s’enfonce inexorablement, atterrit à l’hôpital psychiatrique, où il rencontre une femme, Sybil Van Buren, qui vient d’être ravagée par la découverte d’agressions incestueuses de son homme sur sa fille. On retrouvera ce personnage dans la troisième partie, comme figure de celle qui a osé « passer à l’acte ».
Sorti de l’hôpital, Axler ne remonte pas pour autant sur les planches, malgré l’insistance de son agent : il se retire à la campagne, à présent seul puisque sa femme l’a abandonné.
Acte 2, l’action se noue, faisant naître l’espoir : Pegeen, qu’il a connue tétant sa mère, vient lui rendre visite. De 25 ans plus jeune que lui, et de surcroît lesbienne : le fantasme absolu. Comme on n’est pas dans la vraie vie, ça marche : la voilà dans le lit du vieux séducteur, encore vert pour ce qui est de la galipette. A cet égard, Le rabaissement est un Nième avatar d’histoire permettant à un romancier d’accomplir ses fantasmes. C’est parti, donc, pour la sodomie, les sex toys et autre triolisme. Pas ce que j’ai préféré, même si je suis contraint de constater que seul m’a laissé des traces cet épisode hautement improbable : une femme seule au resto qu’on branche et qui suit un couple pour une nuit sulfureuse. Tout le monde a beau mettre en garde Simon : l’ancienne maîtresse de Pegeen dévorée de jalousie, les parents de la jeune femme, anciens amis d’Axler. Rien n’y fait : Axler doute, certes, mais veut croire à sa chance, puisque tout a l’air de marcher plein gaz ?
Vu le titre, on s’y attend : plus dure sera la chute. Acte 3 donc, la chute. Axler soupçonne que Pegeen a préféré les jeunes bras de Tracy, la « vingtenaire » branchée au resto. Mais, et c’est là sans doute le plus dramatique, aucune explication ne lui sera donnée. Pegeen a simplement décidé de le quitter.
Ce n’est pas ce que je veux. Je me suis trompée.
Et c’est tout. Autant de conviction dans cette résolution qu’elle en avait pour jurer à Axler que la différence d’âge n’était pas un problème et que cette histoire ne serait pas qu'une simple passade. Il fut même question de procréer, passant outre le danger de mettre au monde un enfant handicapé à l’âge avancé d’Axler. Tout cela s’arrête brutalement, et Simon retourne à sa condition d’homme fini. Le voilà tenté de nouveau par le suicide, mais incapable du geste fatal, contrairement à Sybil Van Buren, allée abattre froidement son mari sans explications (un peu comme Pegeen avec lui).
Si elle a pu le faire, je peux le faire.
Et il le fera. Comme Icare, il se sera brulé les ailes en s'approchant trop du soleil. Non sans l'avoir pressenti d'ailleurs, mais comment résister lorsque le soleil vous chauffe si agréablement ?
La fable est sombre. Elle évoque le poids du conformisme, ici concernant la différence d’âge, sans toutefois le délégitimer complètement puisque le roman nous dit bien qu’un âge avancé pose problème pour la procréation. L’écriture est fluide, agréable, mais le style n’est pas très littéraire. Peut-être la raison pour laquelle je n’ai pas gardé grand souvenir de cet opus de Roth : Portnoy et son complexe m’aura d’avantage marqué.
6,5