Abel Tiffauges, une enfance dans un pensionnat triste, éclairé seulement par la présence de Nestor, le fils du concierge. Ce dernier, d'une physionomie hors du commun, obèse et très grand pour son âge, est traité avec déférence par les professeurs et les élèves. Il sait même faire annuler les punitions ou promeut un garçon à la place très convoitée d'orateur de cantine. Abel se voit gratifié de la protection du jeune garçon du jour au lendemain, sans raison apparente, il comprend qu'un destin exceptionnel l'attend. L'école est placée sous la protection de Saint-Christophe, qui a porté l'enfant Jésus sur ses épaules, le narrateur pressent dans l'acte de la "phorie" (portage) un potentiel sensuel hors normes. Un jour il est accusé à tort d'avoir causé un incendie (sans gravité) dans la chapelle et doit passer devant le conseil de discipline, mort de peur, il espère tout la nuit que l'école prenne feu. Tôt le matin il est réveillé par des cris, son souhait a été exaucé, la chaudière de l'école a explosé détruisant une partie des bâtiments. Cependant, Nestor a péri dans l'explosion, se sacrifiant plus ou moins pour sauver son protégé du châtiment immérité. Depuis, le spectre de Nestor veille sur Abel, celui-ci a développé une carrure semblable à celle de son protecteur. Adulte, après une blessure à la main droite il découvre qu'il est capable d'écrire de la main gauche, avec une écriture toute particulière qui lui rappelle son ami disparu. Il développe des plaisirs particuliers, pour la chair fraîche, l'observation des enfants à la sortie des écoles... Rien d'étonnant quand l'une de ses compagnes va le qualifier d"ogre".

Je me rappelle en cinquième, pendant un cours de musique qui jusqu'alors était ennuyeux au possible qu'on nous avait fait lire Le roi des Aulnes de Goethe. J'avais été émue et très effrayée par ce spectre ravissant les enfants dans les bras mêmes de leurs parents, des années plus tard il me hante encore. Dans ce livre il n'en est pas question directement, mais il s'agit d'un autre ogre que d'aucuns trouveront horrible mais qui m'a profondément émue. Quand on compare son amour des enfants à celui de Lolita, on est dans une vision beaucoup plus saine, il les contemple les soulève dans ses bras herculéens, et loue leur innocence. Il a une affinité particulière avec eux, ainsi qu'avec les animaux, qui lui font instinctivement confiance et se blottissent dans ses mains. L'écriture m'a fait penser à Le Clézio, dans le récit interrompue par les réflexions, ceci dit l'ensemble est ici beaucoup moins sombre que le sujet pourrait laisser croire. Le récit est partagé entre narration à la troisième personne et les Ecrits Sinistres d'Abel (sinistres au sens premier du terme de sinister gauche et heureux présage en latin, défavorable en grec), sorte de journal intime du personnage.Tournier développe le concept de l'inversion maligne : "La pureté est l'inversion maligne de l'innocence. L'innocence est amour de l'être, acceptation souriante des nourritures célestes et terrestres, ignorance de l'alternative infernale pureté-impureté. De cette sainteté spontanée et comme native, Satan a fait une singerie qui lui ressemble et qui est tout l'inverse : la pureté. La pureté est horreur de la vie, haine de l'homme, passion morbide du néant. Un corps chimiquement pur a subi un traitement barbare pour parvenir à cet état absolument contre nature. L'homme chevauché par le démon de la pureté sème la ruine et la mort autour de lui. Purification religieuse, épuration politique, sauvegarde de la pureté de la race, nombreuses sont les variations sur ce thème atroce, mais toutes débouchent avec monotonie sur des crimes sans nombre dont l'instrument privilégié est le feu, symbole de pureté et symbole de l'enfer." Il cite de nombreux exemples à travers le livre, et le héros, très attaché au symbolisme est un anarchiste d'un nouveau genre. IL semblerait que l'homme ne puisse que pervertir les valeurs nobles. Toutefois, ses instincts prédateurs vont le guider au cœur du fascisme allemand à la droite d'Hitler. Un livre fascinant, dérangeant, sur fond d'une Allemagne en noir et blanc...et rouge.
Diothyme
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le 26 juil. 2011

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