Dire tout d’abord que « Le roi des Aulnes » n’est surtout pas un conte "pour enfants" mais un conte "avec des enfants". Et de cette différence essentielle naît la substance même du roman de Michel Tournier qui nous enlève sur le cheval noir des obsessions morbides de son héros Abel Tiffauges.


Expliquer ce nom ensuite. Abel, le nomade et berger tué par Caïn, jaloux que Dieu ait préféré son offrande à la sienne et Tiffauges du nom du lieu où se retira l’immonde ogre Gilles de Rais. Car Abel Tiffauges va suivre les signes que sa destinée a placés sur son chemin et deviendra dans un monde ravagé par la guerre, un nomade en quête de sens. Du pensionnat de sa misérable enfance où un étrange mentor nommé Nestor le mettra sur la voie de son étoile, à la Prusse où tout s’accomplira, Abel sacrifiera à cette étrange destinée.
Tour à tour journal sinistre (parce qu’écrit de la main gauche) ou récit plus classique, Michel Tournier nous fait vivre l’étrange odyssée d’Abel. Dans son enfance au pensionnat St Christophe, il a développé le concept de « phorie » sur l’exemple de ce porteur du Christ (Christophe venant du grec Christos phoros : porteur du Christ »). Tout est pour Abel phorie=portage ou son contraire, son inversion : l’écrasement. Devenu adulte, Abel est un géant, une sorte de colosse qui deviendra un phoros à la recherche de son Christos et pour cela cultivera son amour des enfants, et de la chair fraîche...
On imagine alors tout ce que ce roman étrange peut comporter d’ambiguïtés lorsque par les aléas de son destin, Abel deviendra le recruteur de jeunes prussiens destinés à être formés au sein d’une forteresse nazie.
La lecture de ce livre fleuve où l’on apprend autant sur l’art de la chasse aux cerfs ou la colombophilie que sur la constitution d’un pré-pubère est déstabilisant, dérangeant et l’on s’étonne qu’il ait reçu le prix Goncourt 1970.
Il est probable qu’aujourd’hui, il ne serait même pas publié !
Dérangeant par cette insistance à décrire le corps de ces enfants dans leur moindre détail, à suivre le chemin de cet homme qui, abruti par ses obsessions, en vient à travailler pour les nazis sans le moindre questionnement, à sacrifier l’innocence de ses victimes à sa folie.
Alors on comprend, effectivement les références à Barbe-Bleu, Gilles de Rais, le plus atroce tortionnaire du monde bien qu’Abel ne fasse aucun mal à ses enfants et que jamais il ne soit question de sexe ici.
Roman décidément d’une complexité effroyable. Perte de l’innocence ou préservation de cette innocence, chemin christique ou diabolique, pré-destination ou libre arbitre, « Le roi des Aulnes » est toujours sur ce fil du rasoir.
Je n’ai pu m’empêcher de penser à un autre écrivain qui a cultivé avec un étrange talent toutes ces obsessions, le suisse Jacques Chessex.
Lectures exigeantes, dérangeantes et parfois traumatisantes aussi, oui, attention, « Le roi des Aulnes » n’est pas un conte pour enfants…

Christian_Attard
7

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le 5 févr. 2016

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