La pièce de Shakespeare qui me faisait le plus envie, avec Hamlet, avec lequel Lear partage une thématique commune: la folie. Inspirée de la légende du Roi celte Leir, la pièce nous propulse dans une Grande-Bretagne pré-chrétienne (aux environs de 800 avant J-C) malgré de nombreux anachronismes inévitables, l'archéologie n'ayant point encore été inventée à l'époque de Shakespeare.
Malgré ce décalage un peu troublant pour un lecteur moderne, l'absence du divin abrahamique permet de sonder l'âme humaine en des temps obscurs, non encore touchés par la grâce du Christ. Personne vers qui se tourner en cas de malheur ineffable, les dieux païens n'offrant jamais la commisération du monothéisme. L'homme est ici seul face aux éléments déchainés et à la nudité de vastes plaines inhospitalières.
Au-delà de la folie pure, un autre thème vient enrichir ce qui pourrait n'être qu'un drame familial fort commun: l'abandon d'un vieux schnock par sa famille. Car il est aussi question de la fausseté des apparences (comme dans la totalité des pièces de Willie) et des innombrables façons dont nous tombons dans ses pièges. La véritable sagesse se trouve là, dans un compatissant mépris de soi-même qui révèle notre dépendance farouche à l'amour d'autrui.
Sans doute l'une des plus belles créations de Shakespeare, d'une noirceur presque totale, cependant nuancée par quelques éclats de bouffonnerie, comme d'habitude. Après lecture, pressez-vous de voir Ran, la magistrale adaptation cinématographique de Kurosawa, si ce n'est déjà fait.