Grandiose fresque dont l'ouverture rappel, mutatis mutandis, le mahabharata : un roi rompt l'ordre des choses en remettant sa couronne et en divisant son royaume. Double impossible, aux yeux des Élisabéthains, qui ne peut se payer que dans une némésis à hauteur de la démesure.
Cette trame politique-cosmique (c'est l'ordre du monde qui est dérangé) se tisse d'un autre fil, sur la vieillesse et la férocité des jeunes générations. Trahisons, tortures, morales et physiques, démesure de la nature hors de ses gonds ; réalisation ultime des conséquences de l'aveuglement premier, mort.
C'est une pièce sans lumière, sans espoir, affreuse en vérité, sur la condition humaine, sur les conséquences des choix éthiques (et politiques) désastreux. Lear, vieillard orgueilleux que les circonstances dessillent, est un rôle presque plus difficile à incarner que Hamlet - l'histoire d'un homme que l'on dénude alors qu'il se pousse lui-même dans le grand âge, et à qui tout sera ôté, sans aucune pitié. Il y a quelque chose d'asiatique là-dedans, dans cette noirceur sans concession - et je comprends que Kurosawa ait pu s'en inspirer.
Une (nouvelle) adaptation en est prévue pour 2012, dit-on, avec Al Pacino dans le rôle titre. Mais je conserve très vive dans ma mémoire les extrait d'une production de 2009 par la Royal Shakespeare Compagny avec Sir Ian Mc Kellen en Lear, totalement bouleversants.