Pauvre ou riche, mendiant ou roi, chacun meurt un jour. Dans « Le Roi se meurt », Ionesco montre à travers un cadre apparemment absurde un souverain se mourant, d'abord refusant la possibilité et la proximité de sa mort, puis l'acceptant peu à peu, non sans quelques sursauts de vie pathétiques. Alors que le royaume se fane de toutes les façons (vieillissement accéléré des habitants, disparition progressive des sujets, réduction du territoire), dans la salle du trône, cinq personnages assistent à la « cérémonie » de la mort du roi : un docteur-astrologue-bourreau qui constate les symptômes de sa « maladie » incurable ; la première épouse Marguerite, qui accompagne le roi dans sa prise de conscience de la mort ; la deuxième épouse Marie, qui tente en vain d'apaiser sa condition par l'amour ; la servante-infirmière, qui suit la scène docilement ; et un garde, qui annonce de temps à autre l'avancée de l'état du roi.
Une pièce agréable à lire, et probablement à jouer ou à voir jouée. Le sort inéluctable du roi tient en haleine tout le temps de la pièce, rythmé par ses éruptions soudaines de vie. Ce personnage tragique est émouvant, à la fois tellement humain dans son amour de la vie et dans son égoïsme, incapable d'imaginer un monde sans lui, cherchant désespérément un moyen de se soustraire à son destin. Le souverain désolé exprime à merveille la vanité de la résistance à la mort, et de la valeur toute relative des rangs et du pouvoir des hommes dans leur volonté de continuer à vivre.
« Le Roi se meurt » reprend certains codes de la tragédie à la Racine ou à la Corneille et en délaisse d'autres. Il y est question de personnages hauts placés, mais l'habituelle régularité des vers laisse place à la spontanéité de la prose. On comprend très vite que la pièce ne se terminera pas sans le décès du roi, et (attention, spoiler qui n'en est pas vraiment un) celui-ci aura lieu au mépris de la vieille règle de bienséance interdisant de montrer une mort sur scène (fin du spoiler qui n'en est pas vraiment un). Le pathos de certaines scènes est sensible, mais l'auteur se permet d'introduire assez fréquemment une dose de dérision ou de comique.
Une tragédie hors du commun dans son fond comme dans sa forme, à la fois réflexion philosophique sur les derniers instants d'un homme et univers original par les dialogues, le cadre hors du temps et la modernisation des codes de la tragédie.