En 1890, Pierre Loti, dont la plume enchanteresse m'avait déjà conquise avec "Pêcheur d'Islande" et "Aziyadé", offrait à son public un roman autobiographique exclusivement centré sur son enfance, comme le titre le laissait supposer. Dans une évocation forte et sensible de sa prime jeunesse puis de son adolescence, l'auteur revient avec simplicité, sincérité et tendresse sur ses vertes années.


C'est bien simple, j'ai cru lire Proust, l'ennui en moins. Comme dans le premier tome d'"A la recherche du temps perdu", le lecteur entre immédiatement dans l'intimité familiale de l'auteur. Les deux œuvres ont d'ailleurs en commun de s'attarder sur les rapports entre le fils et la mère, entre le fils et la grand-mère, entre le fils et les camarades de jeux. Et si la madeleine de Proust est ici remplacée par les tiroirs de la table à ouvrage de la mère (tiroirs moins comestibles que la madeleine, convenons-en), le traitement du souvenir sensoriel est aussi poétique et efficace chez Loti qu'il le sera quinze ans plus tard chez Proust. Si je vous dis que cinq ans après sa parution, "Le roman d'un enfant" en était déjà à sa quarante-septième édition chez Calmann-Levy, cela peut donner une idée du succès remporté par l'ouvrage.


Loti exprime son objectif en termes clairs dans son avant-propos :
"Il se fait presque tard dans ma vie, pour que j’entreprenne ce livre : autour de moi, déjà tombe une sorte de nuit ; où trouverai-je à présent des mots assez frais, des mots assez jeunes ?
Je le commencerai demain en mer ; au moins essaierai-je d’y mettre ce qu’il y a eu de meilleur en moi, à une époque où il n’y avait rien de bien mauvais encore.
Je l’arrêterai de bonne heure, afin que l’amour n’y apparaisse qu’à l’état de rêve imprécis."


Et fidèle à son intention, il use de mots frais et simples pour décrire les mille facéties de l'enfance mais aussi pour aborder des thèmes plus graves tels que la solitude, l'absence du frère admiré, la prostration de l'étudiant, les incertitudes quant à l'avenir, les questionnements sur le destin, la crise de foi, la fragilité de la vie et le mystère de la mort.


A travers ces échos du passé se devinent déjà les passions futures de l'auteur pour les horizons lointains, les voyages et l'exotisme auxquels son éducation protégée ne le destinait pas. Tel le papillon sortant de sa chrysalide, le petit Pierre opérera sa métamorphose qu'il décrit lui-même au chapitre XV par cette métaphore que je partage ici car il me semble qu'elle illustre à merveille le style et le contenu :


"Je vais dire le jeu qui nous amusa le plus, Antoinette et moi, pendant ces deux mêmes délicieux étés.
Voici : au début, on était des chenilles ; on se traînait par terre, péniblement, sur le ventre et sur les genoux, cherchant des feuilles pour manger. Puis bientôt on se figurait qu’un invincible sommeil vous engourdissait les sens et on allait se coucher dans quelque recoin sous des branches, la tête recouverte de son tablier blanc : on était devenu des cocons, des chrysalides.
Cet état durait plus ou moins longtemps et nous entrions si bien dans notre rôle d’insecte en métamorphose, qu’une oreille indiscrète eût pu saisir des phrases de ce genre, échangées entre nous sur un ton de conviction complète :
- Penses-tu que tu t’envoleras bientôt ?
- Oh ! je sens que ça ne sera pas long cette fois ; dans mes épaules, déjà… ça se déplie… (Ça, naturellement, c’étaient les ailes.)"

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le 15 sept. 2020

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