En plus d’être un jeune homme pauvre, Maxime est surtout issu d’une famille noble et son éducation lui vaut un attachement infaillible à son honneur qui doit rester intact en toute circonstance.
Il passe d’une des plus grandes fortunes parmi les familles nobles, à un surendetté quand ses parents décèdent. Ah quel déshonneur ce serait que d’accepter lâchement la succession à concurrence de l’actif net ! Non, ce genre d’option n’est pas du goût de Maxime, seul héritier majeur, à seulement 24 ans, sans fortune, lui qui doit assurer avec si peu la vie de pensionnat de sa petite soeur Hélène, encore enfant et qui ne peut compter que sur lui. Bon… Chanceux après coup, il restait finalement quelques centimes dans la succession… Mais c’est vous dire tout de même cet honneur qu’il pousse à l’extrême.
Il n’est nullement question également de s’abaisser à un mariage de complaisance avec une riche boutiquière qui ne désire que son nom, son titre.
Nullement question également de concéder son nom à une société dont le nom sera le prospectus en contrepartie de rentes oisives.
Le jeune homme pauvre repousse ces propositions d’un mot froid et envisage son infortune en face.
Cette fierté bien qu’admirable est quasi-maladive et l’auteur ironise sur la misère du personnage. Lorsque le jeune noble découvre la sensation de faim, il est rapidement pris de vertiges et attire la pitié autour de lui si bien que la portière de l’immeuble lui offre un bon plat tout chaud. Cet acte bienveillant est d’abord vécu comme une agression qui réveille l’orgueil du petit noble, mais qui finalement accepte très vite le plat et fond en larmes. Il y a d’autres petites anecdotes touchantes.
La chance s’offre à lui quand le notaire de famille le présente à une famille aristocratique bretonne qui a besoin d’un intendant, une sorte de gestionnaire de rentes immobilières (gérer les baux, les terres agricoles…) Maxime accepte et il est traité avec considération mais se met en avant seulement comme un jeune avocat inexpérimenté, personne ne sait qu’il a des origines nobles.
Bien des mystères planent autour de Maxime, la famille voit vite d’un oeil intrigué qu’il n’a pas l’air d’un simple intendant, lui qui peut parler aisément de théâtre parisien avec Madame Laroque. Marguerite, la fille et unique héritière, convoitée par tous les hommes chics des bals et salons pour sa beauté et sa fortune immense, se méfiera de Maxime tout en étant secrètement charmée de son attitude romanesque et discrète.
Marguerite intrigue également Maxime qui ne peut expliquer cette froideur, ce coeur sec d’apparence, cet air hautain et mauvaisement sarcastique qui cache des souffrances inavouées. Si sa belle âme peut bien surgir lors de promenades pastorales et intimes, elle redevient de marbre dans les salons. Ce malaise lui provient de sa fortune car elle ne sait plus où se situe la sincérité dans ses relations. Même Maxime, dont l’attitude est en tous points irréprochables, est suspecté de vouloir sa main pour sa seule fortune. On assiste alors à cette situation ubuesque du point de vue du lecteur, où l’on voit Marguerite se replier dans sa richesse, comme Maxime dans sa pauvreté, tous deux restant l’un en face de l’autre, ombrageux, souffrants et s’aimant éperdument sans le dire.
Son principal prétendant officiel, Monsieur de Bevallan, à un comportement caricatural de faux-noble de salon, exubérant, démonstratif, sans réelle valeur, ce choix n’enthousiasme évidement pas Marguerite… Cependant, son âge avancé la pousse à la précipitation notamment par sa mère ; elle panique, hésite à accepter mais heureusement pour elle, son destin sera boulversé au bon moment quand sera dévoilé les cartes de tous.
Octave feuillet n’a pas eu de postérité sauf une petite pour ce roman. Emile Zola l’avait démoli à l’époque car il n’a vu dans ses romans que des « poupées mécaniques ». Zola n’a sans doute pas lu avec patience le roman, ou peut-être pensait-il à d’autres. Il y a une part de vérité bien sûr mais le génie de l’auteur est de peindre des coeurs sensibles dans une enveloppe froide, ce qui n’empêche pas ces volcans en sommeil d’entrer en éruption de temps en temps. Du moins, cela est vrai pour Marguerite et Maxime. Les autres sont de véritables poupées mécaniques à part Madame Laroque, tout simplement car il décrit la réalité superficielle des salons, et non sans une certaine ironie et un certain mépris d’ailleurs. Cette oeuvre est loin d’être niaise, ce n’est pas seulement une description élégante de la vie aristocratique, il y a des critiques bien piquantes si l’on y prête attention.
Pour le reste, le style est élégant mais chargé. On sent que l’auteur veut exprimer des sentiments complexes. Parfois cela tombe remarquablement juste, parfois cela reste un peu nébuleux mais l’ensemble est agréable à lire.