Les Mousquetaires au service de leur intérêt personnel

Ces trois-quatre mousquetaires sont les anti-héros des intérêts français dans ce roman, je tente de le démontrer à la fin de la critique.


Alors oui ces mousquetaires sont piquants, gais, vifs, bien travaillés et différenciés les uns des autres. Chacun se complète dans le groupe : il y a le brusque un peu simplet, le noble mystérieux, le mousquetaire dévot (du moins quand cela l'arrange), et le gascon téméraire et intelligent, le fameux D Artagnan qui ne devient idiot que lorsqu'il se laisse séduire par une femme.
Vous n'y verrez au début que de lourds mousquetaires susceptibles et cherchant des duels tous les quatre matins. C'est tout au long du roman que les personnalités vont s'affiner.


Première et grosse surprise, c'est cette bête et frontale opposition entre d'un côté les mousquetaires du roi et de l'autre les gardes de Richelieu.
Si Richelieu et Louis XIII se méfiaient effectivement l'un de l'autre, ils avaient bien conscience de l'excellente synergie qu'ils formaient entre eux pour servir l'intérêt supérieur de la France.
Chacun confiait toutefois des missions secrètes à ses mousquetaires ou gardes sans en informer l'autre partie, c'était là toute l'ambiguïté de leur relation.
Pourquoi une telle paranoïa ?
En synthétisant de façon chronologique avec quelques repères historiques non rappelés dans le roman (car il se situe en 1627-1628) :
A l'origine, Richelieu a été choisi par Concini, le sournois manipulateur de Marie de Médicis pendant la régence, assassiné en 1617.
Sans être impliqué directement dans les manoeuvres de Concini, Richelieu restera associé à ce dernier aux yeux de Louis XIII. Quand il sera réintégré en 1624 à la Cour royale, ce ne sera pas sans une certaine méfiance.
1626 : c'est la conspiration de Chalais qui menace à la fois Richelieu et Louis XIII et dont la position très équivoque d'Anne Autriche dans cette affaire laisse planer des soupçons envers elle.
C'est après cette conspiration que Richelieu crée sa garde rapprochée équivalente à celle de Louis XIII et ses mousquetaires.
Richelieu et Louis XIII n'ont donc plus confiance en personne mais comprennent qu'ils doivent nécessairement coopérer entre eux. C'est pourquoi ils maintiennent dans le roman des relations très courtoises et respectueuses malgré leur apparente opposition.


La réelle opposition d'intérêts dans le roman, c'est plutôt celle entre le roi et la reine.
La reine représente une menace étrangère en raison de son sang espagnol et ses correspondances fréquentes avec la dynastie des Habsbourg, laquelle domine encore largement l'Europe à cette époque.
Ajoutez à cela une sérieuse mésentente dans le couple royal, des mauvaises influences de la reine (Madame de Chevreuse) et des badinages légers.
Tout s'aggrave davantage dès la réception galante et secrète par la Reine du Duc de Buckingham (le premier ministre d'Angleterre à l'époque si l'on peut dire) où elle lui donne douze ferrets en diamant qu'elle a elle-même reçu de Louis XIII.
Malgré toutes précautions, rien n'a échappé à l'oeil fin des gardes et espions de Richelieu qui s'en frotte les mains.
C'est le moment idéal pour discréditer la reine et humilier le Duc de Buckingham mais aussi l'occasion de se venger tout court, car Alexandre Dumas suppose que Richelieu était secrètement amoureux d'Anne d'Autriche et jaloux de ses rivaux…
De son côté, Buckingham n'appréciait pas être persona non grata en France, il voulait ainsi pouvoir entrer en France comme conquérant.
Tout ceci expliquerait, en partie bien sûr, le fort soutient militaire à la Rochelle des anglais (le dernier siège des protestants en France). C'est donc pour Dumas bien plus qu'une entraide entre protestants que représente cette intervention anglaise à la Rochelle et à l'île de Ré.
On aime cette vision de l'histoire où l'on nous rappelle, derrière les motifs officiels, à quel point la vanité blessée, les amourettes et les petites conspirations prennent une place prédominante dans les grandes décisions stratégiques.


Dans tout cela quelle place prenne nos mousquetaires ? Eh bien ce sont de vulgaires pions, ils ont beau faire preuve d'imagination et d'intelligence, ils ne saisissent pas vraiment tous les intérêts en jeu.


Quand d'Artagnan prend le parti de la Reine, il le fait par amour envers Mme Bonacieux. Les autres mousquetaires le suivent aveuglement par confiance.


Une fois la mission brillamment réussie, l'honneur de la reine préservée et Richelieu humilié, tout le clan des mousquetaires est en joie… C'est stupide, les mousquetaires devraient servir l'intérêt du roi et non maquiller les influences délétères qu'entretienne la reine sans même en avertir le roi… En réalité, mettre un maximum d'entraves à Richelieu est le seul plaisir du clan des mousquetaires. Evidemment, Richelieu ne se prive pas d'en faire de même mais lui au moins sert la cause bien plus grande de la France…


Richelieu dispose d'une arme redoutable, un atout féminin : « Milady », qui a plusieurs identités, liée à de multiples personnages du roman, pleine d'intrigues et de sous-intrigues. C'est le meilleur personnage du roman même si on la déteste. Evidemment, notre cher D Artagnan dont le coeur est facilement corruptible, se laissera chuter par elle.


C'est à ce moment que commence, après des séductions hypocrites ratées, un jeu interminable de vengeance entre D Artagnan et Milady sur le fond historique du Siège de la Rochelle, où nos mousquetaires sortiront totalement de leur attribution.
Lorsque Milady sera envoyée par Richelieu pour négocier, avec un chantage parfaitement monté, un retrait des troupes armées auprès du Duc de Buckingham, elle sera interceptée par Athos qui sabotera tout le plan car elle avait accepté la mission sous réserve de pouvoir se venger efficacement de d'Artagnan avec la bénédiction de Richelieu. Oui c'est attendrissant Athos de penser à D Artagnan mais la France est en guerre tu ne l'as point oublié ? (...) Et puis il pouvait déjouer ses plans de vengeance autrement, en demandant par exemple la grâce ou une protection de Louis XIII sur D Artagnan en prévention.
Mieux encore, D Artagnan, par un mouvement de niaiserie, demandera à son domestique, en autres missions, de prévenir le Duc de Buckingham d'un assassinat…
Heureusement, non seulement le siège de la Rochelle est un incontestable succès militaire mais en plus l'Angleterre sort traumatisé de l'assassinat du Duc de Buckingham par un sbire fanatisé et remarquablement manipulé par la fatale Milady.


Bref, ces mousquetaires sont les anti-héros de la France. D'Artagnan sauve la reine pour recevoir toute l'attention de Madame Bonacieux puis les mousquetaires tentent de démolir le plan de Richelieu qui avait pour but principal de dissuader le Duc de Buckingham de continuer sa folle guerre.


Ne leur en voulons pas ! Ils sont courageux, imprévisibles, solidaires et loyales entre eux, cela les sauvent de tout mesquin jugement. A l'inverse, Milady sert bien souvent l'intérêt supérieur de la France avec Richelieu mais sa personnalité plus qu'exécrable de vilain serpent ambitieux nous l'a fait haïr.


Même avec un oeil critique sur ces mousquetaires, j'ai apprécié le roman. C'est une oeuvre vive, amusante, dramatique, où le lugubre présente toujours un haut intérêt, où la gaieté a aussi son côté très piquant, une belle peinture originale d'une époque grandiose.
L'immense quantité d'action est en plus facilement digérée par le style fluide de Dumas.

EtienneBernard1
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le 20 mars 2022

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Etienne Bernard

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