La Curée
7.4
La Curée

livre de Émile Zola (1871)

Spéculation ; luxe et jouissances malsaines

L'époque dorée ou tout était possible. Vous débutez en bas de l'échelle à la Mairie de Paris, vous finissez multi-millionnaires dans la promotion-immobilière à gros coup de démolition. Il faut dire qu'Aristide Saccard est démesurément ambitieux, envieux, orgueilleux, et saisit toutes les opportunités se présentant à lui, les plus immorales ou illégales, peu lui importe. Faire carrière en se greffant sur le prestige de son frère, député, puis ministre ? il n'a aucun scrupule ; réussir ses premières spéculations avec des faux et usages de faux, de la petite corruption entre copains de la mairie ? ce n'est pas un obstacle, c'est qu'une décision à prendre au bon moment ! développer ses relations d'affaires afin d'acheter certains immeubles juste avant une expropriation par la mairie et gonfler derrière le prix de l'expropriation ? Encore oui oui et oui ! il ne recule devant rien et où s'arrêtera-t-il d'ailleurs ? Une ingratitude extrême envers sa première épouse d'une loyauté sans faille ? Bien sûr, sa première épouse n'avait rien à lui apporter (dot ou patrimoine quelconque), c'était un objet de décor obsolète. Secrètement joyeux au moment où sa première épouse décède, il sautille déjà à l'idée de se remarier cette fois-ci avec une femme qui promet une dot et qui en plus en jette physiquement ! Aussitôt marié et en changeant de nom au passage (c'est là seulement qu'il s'appelle Saccard), il réinvestit ses fonds avec les fonds tout neufs de son épouse, qui signe à peu près aveuglement tout, comme c'est facile ! Une pluie d'or lui tombe rapidement sur sa bourse. Etape suivante, se construire un hôtel particulier rien que pour lui, dans les quartiers nouveaux et chics, accolés au parc Monceau. Oh que c'est splendide tout ça, son hôtel condense tous les symboles extérieurs de richesse imaginables pour l'époque, parfait pour organiser des bals.


Ici vous pouvez spoiler


Un petit trublion rejoint la fête familial, le fils de Saccard, Maxime, qui était en pensionnat en province, emménage également dans l'hôtel. Maxime ne peut pas rêver mieux, il obtient tout ce qu'il désire, à 14/15 ans il vient déjà avec son laquais et son propre fiacre au lycée, très content d'impressionner de la sorte ses camarades. Renée (la nouvelle épouse de Saccard) est ravie de la présence de Maxime qu'elle traite et perçoit comme un animal de compagnie réconfortant. Maxime est un peu le contraire de son père, le gain d'argent ne l'intéresse pas, ce qu'il veut, c'est dépenser dans l'insouciance la plus totale, il est rieur, bon vivant quand son père est diplomate et froid comme un banquier et il a ce petit côté féminin qui va créer très vite une forte intimité entre lui et Renée. D'une simple camaraderie, la relation entre Renée et Maxime va se transformer subtilement en une relation amoureuse plus tard quand Maxime aura la vingtaine. Il faut dire que Renée, en plus d'être belle, n'a même pas 30 ans quand Saccard en a déjà 40. Obnubilé par l'argent, Saccard s'adresse à Renée que pour des questions financières, ils vivent même dans des chambres séparées. Alors bon on nous présente la relation semi-incestueuse comme une sorte de décadence de la haute bourgeoisie, mais c'est une décadence de pure forme (le mariage), et non sur le fond, la relation entre Saccard et Renée n'a jamais existé, même pas ne serait-ce qu'une seconde, tout n'a été que superficiel dès le commencement. Puis Zola nous apporte très lentement et subtilement l'engouement amoureux progressif de Renée envers Maxime qui sera soudainement réciproque par le hasard de certaines circonstances (vraiment très bien amené par Zola). C'est que Renée est très jalouse, Maxime n'est pas sans succès, c'est le dandy chic parisien par excellence, et puis qu'il est drôle, qu'il est amusant, c'est une denrée rare aux yeux de Renée qui peine à trouver un sens à sa vie. La où il y a réellement décadence, c'est lorsque le fils et le père partagent leurs expériences, leurs filles dans des soirées ayant une allure d'orgie et cela, sans aucune forme de pudeur. Mais que Maxime lui pique son épouse, après tout, sauf l'honneur de son père, on peut dire que c'est bien mérité pour lui, ce d'autant plus qu'il trompe Renée publiquement en plus de la délaisser totalement. S'ensuit toute une description d'intimité charnello-sexuelle entre Maxime et Renée dans les endroits les plus somptueux de l'hôtel, la chambre de Renée richement décorée, la serre exotique (très sensuelle à lire, sans tomber dans l'érotisme vulgaire).


Voilà que les affaires sérieuses reprennent, Saccard investit toujours plus, détourne davantage le patrimoine propre de Madame, non sans manipulation et désire activement marier son fils à la petite Louise, fille unique d'un homme politique, qui va recevoir UN MILLION de dot, un million ! (anciens francs) En plus, vous savez quoi ? La Louise est gravement malade, elle va pas tenir longtemps ! une aubaine ! elle est certes laide comme un poux mais ça se supportera bien, n'est-ce pas Maxime ? Effectivement, cela lui convient, il a saisit le bon coup, et puis il est indifférent à peu près à tout, ce qu'il aime c'est jouir et rigoler, ça tombe bien, la petite Louise a au moins la qualité d'avoir de l'humour, celui lui suffit pour le mariage. Mais voila qu'à l'une des plus belles fêtes mondaines parisiennes organisée chez Saccard lui-même, Renée apprend le mariage prochain des deux petits, Oh quelle rage ! Elle isole Maxime, vite, il faut tout plaquer et aller vivre.... je ne sais pas, en Angleterre ou en Amérique tous les deux ? Maxime prend peur, pour lui tout n'est que jeu et plaisir, Renée le force, le contraint sous la menace de tout révéler en public ! Maxime s'apprête à accepter mollement les féroces fantaisies de Renée et ... Saccard les trouve, les deux dans une posture ambiguë. Un autre époux aurait eu une première réaction de violence mais non Saccard, toujours dans le sang-froid, humilia légèrement Renée et récupéra le Maxime qu'il ramène au droit chemin avec la petite Louise, trop fort le père et le fils ! Sans rancune le père ! c'est dingue, de toute façon ce qu'il veut c'est la sécurité du mariage entre son fils et Louise, le reste, l'honneur, la dignité, même familiale, on s'en fiche bien, il gère tout avec une gracieuse diplomatie de forme, c'est délicieux, alors que sur le fond il n'a rigoureusement aucune spiritualité ou profondeur, il est tout juste assez intelligent pour être à la hauteur de son ambition. Bref, le mariage a lieu, la petite Louise décède quelques mois plus tard comme convenu, Maxime touche le pactole, il vit grassement sans investir tandis que son père continue de démolir à tout vas les petites rues sombres et étroites de Paris, bah oui que c'est ringard et sale aussi toutes ces petites rues historiques de Paris. Bonjour les Grands Boulevards propres en pierre de taille. De son côté, Renée déprime bien évidemment, elle aura cependant une petite vengeance envers Maxime, faisant croire à Saccard que c'est Maxime qui l'a perverti (alors que c'est bien l'inverse), mais rien ne lui rehausse véritablement le moral. Elle s'effondre alors dans un nostalgie victimaire, se rappelle de son enfance à l'ile Saint-Louis (Pour Zola, l'île Saint-Louis est le charme absolu quand le type haussmanien est à vomir). S'attachant à son passé mais sans renouer de contacts, sa soeur a fait sa vie ailleurs, sa tante est décédée, il ne lui reste plus que son père solidaire et hautain, cloîtré dans son immeuble froid de l'ile Saint-Louis (faut pas compter sur lui). Elle s'attache même à sa domestique alors qu'elle s'en fichait royalement avant. Sa domestique manifeste de l'indifférence à son égard et est très contente de prendre congé afin de revenir auprès de sa famille après avoir épargné pendant des années. Alors Renée à l'impression de tout perdre, elle se morfond dans sa noirceur, elle qui vit sous les dorures. Elle cesse de jouer la comédie, ne fait plus l'effort de paraître gaie en public au moins pour l'image qu'elle dégage, non elle semble attendre quelque chose. Ce quelque chose ce sera la mort, une petite méningite qui l'emportera l'année suivante.


De mon côté, j'étais un peu sceptique au début du livre, les 100 premières pages sont un peu lourdes, les personnages sont présentées sans réelles profondeurs, puis Zola nous fait un retour en arrière pour nous expliquer le passé d'Aristide Saccard, de son premier mariage, au second, et la tout se peaufine. La relation Renée-Maxime est vraiment très subtilement apportée par Zola, je m'attendais à de la brutalité de façon à choquer le plus possible le lecteur pour en faire ressortir toute la décadence de la haute bourgeoisie, mais finalement cette relation malsaine et semi-incestueuse parait presque logique quand on lit le livre, c'est déroutant et c'est bien joué. J'ai tout de même un peu de mal avec la réaction de jalousie maladive et d'effondrement victimaire de Renée, qui savait très bien que ce jeu malsain ne pouvait durer éternellement, et puis elle avait encore toutes les qualités du monde pour se trouver un amant autre que Maxime, mais non elle, c'était Maxime ou rien, le bonheur de Maxime ou la dépression totale. Comportement puéril qui je trouve contraste avec quelques traits de caractères de Renée qui laissent penser qu'elle est singulière, qu'elle peut se comporter en femme forte, mais non, finalement elle est soudainement naïve et puérile à la fin du livre.


Sur le style, ce qui me surprend c'est qu'au niveau des descriptions, soit on tombe dans la froideur d'un constat d'huissier, soit Zola s'éprend romantiquement dans des métaphores ou descriptions métaphysiques, alors parfois c'est réussi à 100%, il y a des tournures de phrases superbes, mais parfois je trouve les phrases confuses ou niaisement nébuleuses. Surtout, ce qui frappe le plus, c'est la maladie mentale qu'à Zola pour deux mots : volupté (ou voluptueux, voluptueuse), sans rire le mot revient 50 fois dans le livre, d'accord le mot s'adapte bien au contexte, mais alors la volupté c'est le plaisir des sens normalement, mais là, avec lui, volupté c'est son mot Joker, quand il veut dire quelque chose de classe, il place le mot volupté comme ça et après tu te débrouilles pour le sens. Ou encore alcôve, la aussi c'est vraiment à mourir de rire, le mot alcôve revient en veux-tu en voilà dans toutes les métaphores possibles, parfois sans aucun sens, vraiment il a un problème avec ces deux mots, du moins dans ce livre - c'est qu'un détail mais quand on commence à le remarquer après on se lasse de revoir toujours ces deux mots cartes Joker.

EtienneBernard1
7
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le 18 sept. 2021

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Etienne Bernard

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