L'Empire allait faire de Paris le mauvais lieu de l'Europe. Il fallait
à cette poignée d'aventuriers, qui venaient de voler un trône, un
règne d'aventures, d'affaires véreuses, de consciences vendues, de
femmes achetées, de soûlerie furieuse et universelle. Et, dans la
ville où le sang de décembre était à peine lavé, grandissait, timide
encore, cette folie de jouissance qui devait jeter la patrie au
cabanon des nations pourries et déshonorées.
Deuxième roman des Rougon-Macquart... Cette fois, on quitte Plassans pour aller à Paris rejoindre ce cher Aristide Rougon -pardon ce cher Aristide Saccard plutôt, son ministre de frère ne voulant pas être trop relié à lui- qui avait su, in extremis, à la fin de La Fortune des Rougon retourner sa veste et devenir un sincère et fidèle serviteur de l'Empereur.
Notre cher Aristide, grâce à son ministre de frère, végète depuis plusieurs années comme simple fonctionnaire dans les couloirs de la mairie de la capitale. Vie trop modeste pour lui, mais gros lot de consolation, un poste qui est un très bon point stratégique pour avoir des informations sur la future reconstruction de la ville. Une source intarissable d'investissements et un moyen très rapide de faire fortune. Seul problème, il lui manque un capital de départ et il ne peut pas compter sur son ministre de frère. Mais voilà, sa sœur Sidonie, espèce d'entremetteuse futée, a un bon plan pour lui, à savoir un mariage avec un gros paquet de pognon -euh pardon, une jeune et jolie fille de riche famille nommée Renée, qui s'est déshonorée en se faisant violer et mettre enceinte par un respectable homme marié. Et comme la précédente épouse d'Aristide a eu la merveilleuse idée de claquer juste au bon moment... Et pour que la fête soit plus folle, il fait venir son fils, Maxime, alors en pension en Province, dont Renée va s'enticher au bout de quelques années de cohabitation et de très bonne entente... Inceste à l'horizon ? Inceste à l'horizon... avec une référence à Phèdre à la clé...
Il accepta Renée parce qu’elle s’imposa à lui, et il glissa jusqu’à sa
couche, sans le vouloir, sans le prévoir. Quand il y eut roulé, il y
resta, parce qu’il y faisait chaud et qu’il s’oubliait au fond de tous
les trous où il tombait. Dans les commencements, il goûta même des
satisfactions d’amour-propre. C’était la première femme mariée qu’il
possédait. Il ne songeait pas que le mari était son père.
Il est à se demander pourquoi j'ai mis aussi longtemps Emile Zola de côté. Il est génial, il est prenant cet écrivain, c'est fou. Ici, il nous emporte complètement dans une véritable fièvre de spéculations, de véritables escroqueries à coups de centaines de milliers de francs, de destructions, de reconstructions, dans le train de vie d'un sultan, dans les crédits, dans les dettes colossales, dans un appétit inextinguible de richesses, un puits sans fond qui donne très vite le vertige au lecteur... Et tout cela en compagnie d'une belle bande d'enfoirés qui tueraient père et mère pour conserver leur train de vie fastueux...
Au milieu de ce tourbillon très dangereux dans lequel elle va se laisser fatalement emporter, Renée, personnage qui m'a profondément ému. On a souvent envie de lui décocher des baffes tellement elle peut être stupide, mais elle a une telle sincérité dans son amour incestueux non partagé (oui, Maxime en Rougon qui se respecte est une crevure qui voit juste cela comme une occupation !), une telle mélancolie et une telle poésie dans ses visions de la capitale, que l'écrivain nous fait souvent partager, et une véritable et déchirante dimension tragique dans les dernières pages qu'on ne peut que se dire que Renée Saccard est sans conteste un des plus beaux personnages de toute l'oeuvre d'Emile Zola. Et j'ai rarement eu affaire à une telle puissance littéraire que lors de sa dernière vision qui nous emporte dans tout ce qu'il y a de plus beau et de plus profond, avant que les trois lignes finales de l'oeuvre viennent nous donner un sacré coup de trique nous rappelant très brutalement et cruellement à la réalité.
Je n'ai lu pour l'instant que la moitié des Rougon-Macquart (oui, je n'ai pas commencé en suivant l'ordre chronologique !) mais je ne pense pas trop m'avancer en écrivant que pour moi La Curée est sans conteste un des meilleurs romans des vingt composant l'ensemble de cette série. En tous les cas, il est très bien parti pour faire partie de mes favoris.