Qu’est-ce qui rendait impérieuse l’écriture de cette histoire familiale ?
Je ne me donne pas de réponse tant je n’ai pas été touché, ni du côté de l’histoire ni du côté de l’écriture elle-même. « Le roman de Jim » me fait d’ailleurs penser à l’histoire contemporaine de tant de « familles » où les enfants trinquent des déboires de parents adulescents et individualistes. Ici, c’est un couple de Jurassiens, le jeune Aymeric et la moins jeune Laurence, tous deux sujets aux errances et toujours en quête d’eux-mêmes, et qui se mettent ensemble alors que Laurence est enceinte de six mois. Le père biologique, ayant déjà une famille, a décidé de ne rien empêcher mais de ne rien savoir. C’est donc Aymeric qui accompagne Laurence avec sollicitude jusqu’à l’accouchement. Ils emménagent ensemble, Aymeric prend très au sérieux son rôle de père d’adoption et n’a pas à feindre ni à surjouer l’immense affection qu’il éprouve. Cela dure quelques années, jusqu’à ce que le père biologique, Christophe, refasse son apparition. Et pour cause, en voilà un qui est anéanti et serait prêt à se raccrocher à n’importe quoi : sa femme et ses deux enfants viennent de périr dans un accident de la route. S’instaure une cohabitation branlante où le couple essaie de faire une place à Christophe, lequel ne sait pas ce qu’il veut et qui il veut être pour le petit Jim. Christophe catalyse rapidement les doutes de Laurence et Aymeric. Il prend / on lui laisse de plus en plus de place, et quand il est déjà trop tard Aymeric réalise que l’amour est déjà loin et que le mieux est certainement une séparation. Cependant, il aime le petit Jim et compte bien faire en sorte d’être toujours là pour lui. Certes, mais c’est sans compter sur les abjections à venir…
Evidemment Laurence et Christophe se remettent ensemble.
Evidemment, pour se donner une véritable chance, pour « tourner la page » et autres conneries égocentrées ils décident de s’installer bien loin au Canada.
Evidemment, pour clore le chapitre d’une existence incapable de s’assumer sans se trahir, d’une existence où l’idée de la moindre grandeur morale ne peut être pensée qu’en baissant la tête, Laurence et Christophe font le choix de brutalement couper les ponts d’avec Aymeric, d’avec la vie d’avant. Un peu comme si l’on avait la prétention de produire de l’intact, de l’accord, de l’harmonie avec des bris de vie. Mais puisque dans l’abjecte il semble toujours possible d’aller plus loin, vous n’allez pas bouder votre plaisir. Laurence, étymologiquement mais étymologiquement seulement « couronnée de lauriers », voyant que Jim est au plus mal de cette séparation (Non, vraiment ?!) décide de fournir à son cœur meurtri la rancœur, la peine et le ressentiment que seule peut inventer la bassesse de l’adulte, sous la forme d’un cruel mensonge : « en fait, Aymeric s’en foutait, il vient de chopper une nouvelle meuf, il veut repartir à zéro et ne veut plus entendre parler de toi ».
Bref, les années passent, Aymeric en bave, se reconstruit. Etant lui-même largement paumé, il n’a jamais trouvé les ressources pour combattre le terrible mensonge, pour tenter quelque chose auprès de Jim et au nom de sa vérité. Dans sa psychologie névrosée, il en avait plutôt fait un prétexte pour sombrer. Bien évidemment il est amené à recroiser Jim qui a alors 23 ans. Les retrouvailles sont émouvantes, très vite la relation s’intensifie. Mais c’est trop pour Jim, qui porte trop de rancœur envers celui auquel il était tant attaché et qui l’a abandonné. Finalement, au cours d’une soirée drogue aux Nuits Sonores, le secret éclate par la compagne d’Aymeric. Fin de l’histoire. Qu'est-ce à dire ? Cloaque sans sublimation.