Les poèmes du "Roseau" sont rédigés entre 1923 et 1940 environ. Pendant cette période, qui se termine par les grandes purges staliniennes (1936/1938), Akhmatova est condamnée au silence par le régime. Les thèmes du recueil sont étroitement liés aux difficultés à survivre dans une société totalitaire (beaucoup d'amis d'Anna meurent ou s'exilent).
Les thèmes de l'amitié, de la fraternité des poètes et du chant poétique structurent le recueil. "Dédicace" est dédié à Mikhaïl Lozinski et à l'amitié : "la haute liberté de l'âme". N'est-ce pas une définition possible de la poésie ? "A la Muse" est consacré à la visiteuse musicienne :
"Quand, la nuit, j'attends sa venue,
La vie ne tient plus qu'à un fil.
Que sont honneurs, jeunesse, liberté
Devant la douce visiteuse au chalumeau ?
La voici. Elle a rejeté son voile,
Elle me regarde avec attention.
Je lui dis : "Est-ce toi qui a dicté
A Dante son Enfer ?" Elle répond : "C'est moi."
Akhmatova rend hommage à Dante, Pouchkine, Lermontov, Mandelstam... tous frappés par l'exil, la plupart assassinés. La politique affleure sans cesse... Entre Dante et Florence, l'amour-haine est inextricable :
"Même après sa mort, il n'est pas revenu
Dans sa Florence d'autrefois.
Il était parti, lui, sans se retourner (...)
Du fond de l'enfer il l'a maudite,
Et dans le paradis n'a pas pu l'oublier.
Mais on ne l'a pas vu, nu-pieds
En chemise, avec un cierge allumé,
Traverser sa Florence désirée,
Infidèle, vile, si longtemps attendue."
En mars 1936, juste avant les procès de Moscou et la Grande Terreur, Akhmatova rend visite à son ami Iossip Mandelstam, exilé à Voronej. "Voronèje" est publié sans les derniers vers, tenus secrets car explosifs :
"Mais dans la chambre du poète en disgrâce
La terreur et la Muse sont de service à tour de rôle.
Vient une nuit
Qui ne sait rien de l'aurore."
"Le saule" donne son premier titre au recueil. Cet arbre symbolise l'enracinement, le refus de l'exil malgré les persécutions et une souplesse qui vient à bout des tempêtes. Akhmatova préfère finalement "Le roseau". Percé de trous, il permet le chant, autre forme de résistance à l'oppression : "Le roseau renaît et chante."
"Cléopâtre" et "Sorcellerie" évoquent la tyrannie qui écrase les individus (dans l'empire romain ou stalinien), ainsi que ce poème sans titre :
"Le miel sauvage sent la liberté (...)
L'amour sent la pomme.
Mais nous savons pour toujours
Que le sang ne sent que le sang."