Au moment d'écrire ce commentaire, je n'ai pas terminé ma lecture et je ne finirai pas. "Le rouge et le noir" restera donc, inachevé, mais surtout, mon tout premier gros échec avec un classique. Pour moi, avec mes valeurs et mon expérience, ce roman a très mal vieillit et propose un modèle amoureux archaïque, qui collait peut-être bien à une autre époque. Ce que vivent les deux personnages s'appelle "un coup de foudre", ce n'est pas de l'amour, c'est du désir à l'état brut. La confusion existe toujours entre le sentiment amoureux et le désir sexuel, parce que le modèle de l'époque a fusionné les deux, voir pire, réduit l'amour a une simple partie de jambes en l'air, comme un nombre astronomique de romans sentimentaux. Je ne dis pas que le sexe est mal, pas du tout, mais prétendre qu'être amoureux c'est vouloir culbuter l'autre ( pour resté polie), c'est réduire le sentiment le plus complexe à un simple instinct de reproduction. Donc, ce que j'ai vu dans ce roman:
En premier lieu, les états d'âme des personnages m'ont vraiment fait rire. Pour un peu, j'oserais qualifier cette histoire de mélodrame sentimental, car les mots employés pour expliquer les émotions sont très intenses. Dans ce roman, on désire avec une telle violence qu'on en tombe fiévreux. Un mouvement de sourcil mal interprété et c'est une rebuffade complète et "horrible" ( un mot utilisé mainte fois). Oui, parfois, Julien et madame de Rênal me semblent très extrêmes avec leur incroyable instabilité hormonale. Ce doit être épuisant de désirer dans cette histoire! En tout cas, cette œuvre donne une tout autre dimension au badinage.
En second lieu, le rythme. Je trouve le tout long, car on se perd dans des descriptions complexes d'états d'âmes violents à chaque geste, ou presque, posés par les personnages. Et je remarque que les principales bases d'une relation comme la confiance, la communication, le plaisir partagé ( de leur compagnie, pas du sexe) et la complicité sont formidablement absents. Ces personnages s'épuisent à interpréter des signes qu'ils peuvent passer au lit ensemble, c'est tout ce qu'il y a à en dire.
En troisième lieu, l'époque. C'est compliqué de désirer ( encore plus "aimer") dans cette société où les classes sociales ne bougent pratiquement pas entre elles, imperméables et statiques.ce doit être très dur de comprendre ses sentiments et ses désirs à travers le nombre incroyable de codes de conduite moraux auquel il faut se soumettre. J'imagine sans difficulté pourquoi le désir servait d'indicateur à "l'amour" ( même si je réitère, ce sont deux choses distinctes) : C'était plus simple. Une montée de fièvre et toute une tripotée d'effets plus ou moins désagréables ( insomnie, perte d'appétit, brouillard cérébral, fourmillements dans les zones érogènes) , voilà monsieur, madame, vous êtes "amoureux"! Le hic avec l'effet du coup de foudre, c'est que ça ne dure pas, un coup de foudre, 6 mois en moyenne, alors bonne chance pour la suite! Mais c'est commode comme les histoires outrancièrement passionnelles finissent toujours bien avant six mois et avec un mariage clé en main, ça permet de ne pas parler du naufrage relationnel qui va suivre dans la majorité des cas. Il y a des exceptions, comme "Orgeuil et préjugés", mais vous remarquerez que ce couple là possède autre chose que du désir...c'est même un des derniers à être apparu. Mais je m'égare...
Pour en revenir au roman, je veux bien croire l'auteur quand il parle de madame de Rênal comme d'une petite fille naïve et innocente: les femmes n'étaient pas éduquées au monde, mais au paraître, tel que les hommes les voulaient. Difficile de leur en vouloir d'être si ...nunuches, disons. "Soit une bonne et belle épouse dévouée et inculte, on ne t'en demandera pas plus, de toute façon." Nous sommes loin des héroïnes modernes ici, si ce n'est la fâcheuse manie de penser qu'une protagoniste fille doit impérativement finir en couple...mais ça, c'est une autre histoire!
Bref, je retiens de tout ces enfantillages , puisque c'est comme ça que tout cela me semble, que le désir ne fait toujours pas bon ménage et que même les hommes confondaient "désir" et "amour". Je peux comprendre en quoi ce roman a été marquant, à une époque où cela concordait avec les valeurs de cette même époque, pour qui les relations semblaient superficielles et basées sur le statut. Avoir un roman qui ose parler d'un homme qui risque sa réputation pour suivre ses pulsions, c'est en effet culotté. Mais pour la moderne que je suis, c'est juste un autre roman sentimental de plus, très excessif dans sa dynamique de personnages, qui me rappel juste à quel point nos modèles amoureux sont usés et superficiels. Vivement les romans qui parlent de vrais relations, ça nous changera.
Je mentionne aussi, parce que je sens que les répliques agressives ne sont pas loin, que tout lecteur a le droit de ne pas aimer un livre, tout "classique" soit-il et défendre un roman juste pour son statut de classique, c'est se morfondre dans une élite qui a grande besoin d'être rafraichie. Surtout les histoires "d'amour", devrais-je ajouter. Tous les classiques ne vieillissent pas bien, ne serait-ce que par le mouvement dans les valeurs, le développement des savoirs et les enjeux sociaux dans la société. Dans ce cas-ci, c'est une meilleur compréhension du sentiment amoureux qui serait franchement de mise. Mais ne soyons pas mauvais joueur, ce roman là à au moins comme défense d'être temporellement vieux.
Pour un lectorat adulte.