Je l'ai détesté la première fois que je l'ai lu. Il m'était insupportable, une torture. Ce n'était pas de l'ennui, c'était un long et furieux rejet de ma part devant les héros. Qui de Mathilde ou de Julien m'énervait le plus, dur à dire. Même une fois le livre fini, les personnages continuaient de m'énerver. Ca m'a titillé pendant quelques années jusqu'à ce que je le relise pour en avoir le coeur net.
Seconde claque, mais cette fois j'ai mieux compris pourquoi.
Ainsi les apprentissages du monde que nous faisons dans l'adolescence ne se font pas sans douleur. D'autant que les romans ont ce pouvoir de vous faire entrevoir une vérité sur le monde, sur vous-même, en vous laissant libre de la considérer comme telle ou de la tenir pour une fiction.
Par la suite, je l'ai relu, rerelu et lu à nouveau, avec une frébrilité et un plaisir croissant, y trouvant chaque fois une nouvelle émotion, une nouvelle claque.
Comme Stendhal, je suis un Julien, et surtout je suis aussi une Mathilde de la Mole. Comme beaucoup de monde. Et je suis reconnaissante envers l'écrivain d'avoir nourri, avivé, aiguisé, pour les nombreuses années à venir, mes dilemmes moraux, mes balbutiements identitaires, mes rêves, mes doutes et mes espoirs.
"Le devoir que je m'étais prescrit, à tort ou à raison… a été comme le tronc d'un arbre solide auquel je m'appuyais pendant l'orage ; je vacillais, j'étais agité. Après tout je n'étais qu'un homme… mais je n'étais pas emporté."