Deuxième claque que je me prends de la part de François Mauriac et... j'adore ça ! Vais-je virer sado-maso ? Après le troublant "Thérèse Desqueyroux", l'auteur nobelisé en 1952 propose avec "Le Sagouin" une nouvelle descente dans l'enfer du drame familial.
Par la plume nette et concise, tranchante, qui caractérise son style, Mauriac ouvre son récit sur une paire de gifles, appliquée à la fois à Guillou et à son lecteur. Que de violence vous direz-vous ? Et oui, ce court roman est lourd d'une violence psychologique et physique qui laisse sa trace en nous, comme sur la joue de ce petit garçon de douze ans détesté par sa mère, Paule.
"Le Sagouin", c'est un conte mal aiguillé qui avait tous les ingrédients pour être "de fée" mais qui vire au cauchemar : une roturière épouse un prince aux allures de crapaud mais qui habite un château avec l'espoir qu'une fois devenue princesse, elle saura par son amour changer le crapaud en prince pour vivre ensemble heureux entourés de nombreux enfants beaux comme le jour. Hélas pour Paule... son mari reste attardé mental, sa belle-mère est une sorcière, son unique étreinte matrimoniale a fécondé un garçon maigrelet et attardé, la bonne du château est toute puissante et ledit château n'est guère reluisant... Et pour couronner le tout, elle-même se change en ogre : barbue, négligée et fantasque, elle perd le peu de beauté qu'elle possédait ; dans son cœur, le regret nourrit une rage et une haine terribles dont son fils est le catalyseur.
Noir, glaçant, dramatique, le récit se déroule avec une cruelle lucidité et un réalisme dénué d'humanité. En quelques dizaines de pages, Mauriac réalise l'exploit de donner du relief à tous ses personnages mais aussi et surtout à toutes leurs émotions, à tous leurs rêves brisés. Il bouleverse nos certitudes, change notre regard, attise notre compassion et nous bouleverse durablement. Du grand art.