Le Sang des Promesses est une quadrilogie du metteur en scène de théâtre d’origine libanaise Wajdi Mouawad. Je ne parlerai ici que de Littoral et de Incendies
Littoral nous fait suivre Wilfrid, un jeune homme qui apprend subitement la mort d’un père inconnu. Faisant front à une famille ne voulant pas qu’il soit enterré aux côté de sa mère, Wilfrid décide d’aller le faire enterrer dans son pays natal, un Liban qui n’est jamais cité. En chemin, sur les traces de son père, il rencontre des habitants de ce pays en guerre, dont quelques uns vont le suivre dans sa quête.
Cette pièce m’a touché par sa poésie, par son côté fantastique : le Père de Wilfrid est mort, mais il entretien un dialogue avec son fils sur ce qu’il a été, sur ce à quoi il aspire, sur ce que fût sa vie.
L’auteur nous parle de la mort, de ce choc que l’on ressent quand un père meurt, de ce allovenezvotrepereestmort qui saisit sans prévenir Wilfrid en pleine baise frénétique et après lequel est n’est plus lui-même. Les personnages sont aussi énigmatiques qu’attirant, comme cette femme qui chante son amour déchiqueté par les mines, ou celle-ci qui collectionne et compile frénétiquement les noms d’habitants, pour ne pas oublier. Il est d’ailleurs intéressant d’apprendre que cette liste de noms qu’égrène le personnage, est chaque fois modifié afin que les noms soient ceux de gens proches des acteurs et équipes techniques. Le final est d’ailleurs vraiment beau, et on ne peut être que touché par les sentiments de Wilfried, de son innocence perdue, incarnée par le Chevalier de Guiromélan.
Incendies nous convoque dans le bureau d’un notaire, Hermile Lebel, exécuteur testamentaire de Nawal, dont les deux enfants, les jumeaux Simon et Jeanne, sont dans son bureau. Le testament, outre un enterrement assez étrange, leur demande de remettre une enveloppe, Simon à son frère – dont ils ignoraient l’existence – et Jeanne à leur père – qu’ils pensent mort, après quoi une enveloppe leur sera donné. Voici donc les jumeaux partis à la recherche du passé d’une femme dont ils ne se sont jamais réellement sentis proche, celle-ci ayant décidé de se taire un beau jour pour ne plus jamais parler (ou presque). Si Simon, boxeur raté et plein de colère, est récalcitrant à l’idée de fouiller un passé révolu, sa sœur se plonge à cœur perdu sur les traces de sa mère, dans leur pays d’origine.
A l’instar de Littoral, on retrouve ici un certain nombre de thèmes : la mort, le pays lointain, la guerre, la redécouverte du passé. Ici, ces thèmes sont cependant posés de façon beaucoup plus réalistes : si très peu d’éléments sont donnés, on ne peut s’empêcher d’y voir là une description du Liban en guerre. De la guerre, l’auteur nous donne une vision à la fois glaçante et imbécile : ainsi, l’un des habitants d’un village raconte la spirale infernale de la vengeance, des exactions et de la violence dont on finit par ne plus se souvenir l’origine. On nous parle de cette prison où les femmes sont torturés afin de livrer qui leur frère, fils ou père. On nous parle de ces groupes, des ces partis, de ces milices ayant toute une raison de commettre l’inqualifiable. C’est donc sans manichéisme, sans parti prit, sans jugement que l’auteur nous fait suivre l’itinéraire d’une femme à qui on a enlevé un fils et qui, toute sa vie l’ayant recherché, le reconnait dans l’homme qui l’a torturé et dont elle a eu deux fils. On ne peut qu’être figé au sang par ce personnage de Nawal qui déverse toute sa colère dans la lettre au père et qui confie tout son amour dans la lettre au fils, et qui, ne voulant pas trahir cet amour et ne voulant pas le corrompre de haine, décide de se taire. C’est tout simplement beau et émouvant aux larmes, comme rarement un roman ou une pièce de théâtre n’a su le faire. Il y a beaucoup de contraste dans Incendies : l’extrême gravité de l’histoire, et la légèreté du personnage d’Hermile Lebel, dont la scène de l’enterrement est un sommet de non-sens ; une opposition entre le désir artistique de Nihad et son métier de tireur d’élite, qu’il accomplit avec la même passion ; le chant, entre chant de mort de Nihad et chant de la vie de Nawal ; et bien entendu, entre la mort et la vie. On notera que les annexes du livre, décidément très intéressants, nous révèle que l’auteur s’est inspiré sans l’avoir lu de Résistante, qui raconte la vie de de Souha Bechara, une résistante libanaise, Nawal en puissance. Dans Incendies, Wajdi Mouawad s’ouvre à l’histoire de son pays, lui qui en fut un témoin direct quoiqu’inconscient. Il est ainsi compagnon de voyage de Jeanne sur les traces de son histoire, lui qui vit au Canada.