A tous les malchanceux, à tous les marginaux, les laissés-pour-compte, à tous les montrés du doigt, à tous les boucs-émissaires, toutes les têtes-de-turcs, à toutes les victimes de la bêtise et de la méchanceté humaine, ce livre est pour vous.
« Le temps est venu de tuer le veau gras et d’armer les justes. »
John Kaltenbrunner n’est pas un garçon comme les autres, c’est un solitaire qui vit dans son monde à lui. Intelligent, habile de ses mains et plein de ressources, John aurait pu réussir et aller loin mais c’était sans compter avec les habitants de Baker, la ville où il a grandi et vécu.
John est poursuivi par l’injustice et la stupidité de ses concitoyens mais il n’est pas du genre à se laisser faire. Alors il se révolte mais cela se retourne toujours contre lui. Il finit par écoper d’une peine de travaux forcés loin de chez lui. Sa peine purgée et plein de rancœur, il décide de retourner à Baker et de se venger. Il transforme alors la ville en un véritable « asile d’enfoirés » selon les propres termes du shériff.
Jouissif, jubilatoire, ce roman est une immense partie de plaisir. Je me suis véritablement régalée à suivre les aventures de John racontées par une personne tierce l’ayant côtoyé. Le procédé narratif employé par Tristan Egolf m’a rappelé celui utilisé dans le film « The Big Lebowski ». D’ailleurs, je verrais bien ce roman adapté au cinéma par les frères Coen.
Le portrait social que brosse Tristan Egolf est sans concessions, tout le monde en prend pour son grade, population raciste, habitants consanguins dégénérés, patrons exploiteurs, religieuses professionnelles de l’arnaque et du vol organisé, municipalité et services de police incapables et incompétents.
On entre dans le quotidien des usines d’abattoir aux conditions de travail abjectes ( ça m’a rappelé La Jungle d’Upton Sinclair) et dans celui d’une petite ville de comté à travers laquelle Egolf nous retrace une partie de l’histoire des USA à l’échelle locale.
Quant aux personnages, Tristan Egolf ne s’attarde pas à les décrire en détails. Aucun ne joue véritablement de rôle-clé si ce n’est John. Il reste pourtant un personnage mystérieux, dont on ignore véritablement les pensées et les intentions, ce qui le rend imprévisible, énigmatique. Tristan Egolf ne le dépeint qu’au travers de témoignages dont celui du narrateur qui, finalement, l’a très peu connu, faisant ainsi de son roman le récit d’une légende.
Le style est recherché tout en étant dans le ton, caustique, humoristique, hargneux. On passe tour à tour de l’indignation au fou rire et on ne peut s’empêcher de ressentir une immense satisfaction et jubilation de voir John prendre sa revanche sur tous ceux qui lui ont pourri la vie.
« Il se retourna vers le feu et annonça que, très bien, peut-être accéderait-il à sa demande absurde d’une discussion ouverte, en commençant par le fait qu’elle était la plus hypocrite péripatéticienne coprophile mâtinée de chienne en chaleur qu’il ait eu le malheur de croiser. Jamais, depuis le temps des cabarets clandestins à gin frelaté, aussi cupide maquerelle n’avait foulé les rues de Baker sous le masque d’une citoyenne respectueuse des lois. Elle était une imposture et une imbécile, et elle sous-estimait grossièrement son bon sens. L’entendre, elle, parler des créatures du Seigneur était encore plus écoeurant que l’exploitation éhontée du charpentier et de ses apôtres à laquelle se livrait son marlou prêcheur de révérend. Chacun savait que pour les catholiques Jésus était le fils de Marie, pour les baptistes il était le sauveur, pour les juifs il n’était rien, et pour les méthodistes il était une déduction fiscale. »
Récit sombre , plein de rage, de fougue, Le seigneur des porcheries est une sorte d’anti-conte de fées où tout est moche, dur, dégoûtant, injuste, immoral et sent mauvais. Mais comme le titre l’indique, ça n’empêche pas son héros d’être un grand seigneur.
Une belle grosse claque que ce livre et un personnage qui restera parmi mes préférés.
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