Louise, récemment veuve, a invité ses trois enfants et leur famille à dîner comme elle aime à le faire de temps en temps. Cet évènement paraît anodin, mais il va servir de catalyseur dans les souffrances endurées par chacun jusqu'ici. Les tensions se sont accumulées depuis trop longtemps, et la mort du père, véritable tyran, crée une véritable décompression, propice aux révélations. L'aînée de la famille s'appelle Fanny, elle s'est toujours sentie rejetée par sa mère, ignorée. Elle cache dans des attitudes de bourgeoise guindée un drame dont elle ne parvient pas à se remettre, la mort de sa fille Léa. Albin, est le second fils de Louise, il s'est forgé à l'image de son père, Armand, c'est un homme dur, parfois violent, qui semble dénué de toute trace d'émotion. Jonas est le benjamin et le petit mouton noir de la famille. Homosexuel assumé, il vit en couple depuis quelques années avec Hicham, qui a réussi a prendre une place à part entière dans cette étrange tribu. Les relations entre frères et soeurs sont quasi inexistantes, chacun ayant pris son indépendance très tôt pour fuir le domicile parental. Louise ne désespère pas de retisser des liens entre ses enfants. Malgré leurs tentatives de fuite, les personnages sont attirés irrésistiblement vers leurs racines mouillées d'embruns.
Le roman est découpé en trois grandes parties "Nona" (grand-mère en italien"), "Decima" (dixième, mais est ici utilisé dans le sens latin de dîme), et "Morta" (morte). Ces parties sont elles mêmes scindées en chapitres narrés par les différents membres de la famille, Louise, Jonas, Albin et Fanny. Sauf pour la troisième où les morts prennent la parole. La première partie comme son nom l'indique est très axée autour du personnage de Louise, vu par ses enfants et par elle-même. Dans "Decima", les personnages règlent leurs comptes, tentent de mettre fin à la souffrance qui leur a affligé leurs proches. Morta donne une véritable place aux personnages sous-jacents dans les deux premières parties. En effet, chacun des protagonistes possède son propre fantôme. Fanny est hantée par Léa, Louise par Armand, Albin par son grand père, le Patriarche, Jonas par son premier grand amour, Fabrice, mort du sida. Finalement ces cadavres sont plus vivants que ceux qui les pleurent qui miment un semblant de vie. Dans cette dernière partie on découvre enfin ce qui est arrivé à Léa, on ne peut s'empêcher de satisfaire notre côté voyeur, tout en se sentant mal l'aise et terriblement ému. La famille vit à Sète, mais les grands-parents paternels étaient réfugiés italiens. L'amour des personnages pour tout ce qui touche à la mer est viscéral, leurs métaphores sont teintées de ce goût d'iode et leur caractère a la spontanéité et la puissance de la tramontane. Le titre du roman est très justement choisi, le sel ronge, tout en servant aussi à conserver les cadavres, il nous vient de la mer, et comme l'auteur nous le rappelle dans ses brèves mais troublantes scènes érotiques, la sueur et les humeurs sont salées. Jean-Baptiste Del Amo a écrit ce livre a 28 ans seulement, je suis soufflée, car ce roman est digne des plus grands auteurs classiques, on peut le comparer à le Bruit et la Fureur, tant la psychologie des personnages est pertinente et réfléchie. Le style est parfait, sans lourdeur, laissant percer juste assez d'émotions pour me faire monter quelques larmes aux yeux sans faire dans le mélo de gare.Il ne tombe pas dans le piège de la provoc' ou du "livre à message" qui plait tant à ses contemporains. Un livre intemporel, bien que profondément triste, sur le mariage, la vie, la mort, l'amour. Anna Gavaldva, voilà ce que c'est une chronique familiale, prenez-en de la graine... Quant à vous Jean-Baptiste, si vous me lisez... ENCORE!!!!!!!