Le sport
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Le sport

livre de Claude Serre (2015)

Dans ma tendre jeunesse, il me semblait que l’illustrateur Serre, alias Claude Serre (1938-1998), était omniprésent, présent dans toutes les bibliothèques, parfois retrouvé dans les rayonnages des librairies, des boutiques d’occasion ou des amis chez qui j’allais. Serre me semblait ainsi la référence à avoir, un des grands maîtres actuels.

Il faut dire que le prolifique illustrateur, qui aurait réalisé plus d’un millier de dessins sur ses cinquante ans de carrière, a été bien soutenu par son éditeur, Glénat. Ce dernier a édité une partie de son travail entre les années 1970 et 1990 dans une dizaine d’ouvrages thématiques, amorcés par Humour noir et Hommes en blanc, préfacé par Pierre Dac tout de même. Ces sorties par thématiques en faisaient un cadeau idéal, d’autant que l’humour de Serre était assez grand public, sans pour autant être trop facile.

Mais Serre a disparu. Il est mort. Ce sont des choses qui arrivent. Et son aura n’est plus la même. Serre est encore régulièrement réedité, Glénat a proposé des nouvelles éditions dans les années 2010, mais de manière plus discrète. Il faut ajouter aussi que l’édition de tels ouvrages ne comportant que des illustrations (et muettes) est devenu très rare, alors qu’il y avait avant de nombreux concurrents sur le même créneau.

C’est donc l’envie de redécouvrir cet homme quasiment oublié maintenant, dont les illustrations m’amusaient enfant, qui a motivé ma (re)lecture de deux de ses ouvrages. Le sport, parce que je suis un grand sportif (de la critique), publié en 1977 et Serre… Vice Compris (vous l’avez?), paru en 1979, qui lui est pour les plus grands (parce que je suis un grand).

Les deux utilisent d’ailleurs des techniques assez différentes. Le sport fait partie de ces formats à l’horizontale, la plus grande part de ses ouvrages, avec les illustrations en format paysage. Le trait de Serre est à la caricature, au tramage développé pour compenser l’absence de couleurs, en dehors de quelques dessins. Ce noir et blanc un peu charbonneux va très bien avec une des clés de l’humour de l’illustrateur, son humour noir.

...Vice compris est plus joyeux, plus festif, il célèbre un humour plus gaulois, autour de la bagatelle sexuelle. Son format en portrait et ses illustrations en couleur le rendent plus attrayant, moins sombre.

C’est l’album que je pensais le plus apprécier, pour faire plaisir à mon côté un peu plus fripon et taquin, mais qui me semble avoir le moins à proposer. Il s’amuse d’un humour visuel, bon-enfant, assez simple. Il est plus explicite, mais ce sera souvent au profit du sexe masculin, très présent dans toute sa grandeur phallique, qui sort du chapeau d’un magicien, à l’horizontale chez un somnanbuliste sur les toits, et autres. La quatrième de couverture propose le dernier zizi, illustration bien personnelle de l’expression « le ver est dans la pomme ». D’autres auteurs auraient pu se faire plaisir en dessinant et s’extasiant sur le corps féminin, ce n’est pas le cas ici.

Certaines thématiques émergent, des sujets récurrents qui ont taquiné Serre, à l’image des plaisanteries sur les relations entre les chèvres et les légionnaires ou celles, encore plus nombreuses, sur les poupées gonflables. Un gag relie même les deux, avec un légionnaire qui ressort d’un sex-shop avec une chèvre gonflable. C’est un humour de son temps, un peu désuet aujourd’hui, mais le plus souvent amusé et bienveillant, sans jugements. La perspective humoristique est plutôt du côté de l’oeil masculin, mais jamais machiste, contrairement à d’autres illustrations de cet esprit gaulois de l’époque. L’un des meilleurs gags est tout de même cette croqueuse d’hommes, littéralement, habillée en imprimé panthère, dont il ne reste que des os d’un homme dont on suppose aux habits laissés sur la chaise qu’il s’agissait d’un explorateur.

On reste dans le corps et dans l’effort, mais à des vocations plus sportives, et même compétitives avec Le Sport. Le regard est plus vif, plus critique. Serre déploie l’humour que j’avais retenu de lui, une manifestation plus noire de son sujet, parfois sanglante (il ne reste des adversaires lors d’un match de boxe que des boyaux), critiquant la compétitivité du sport, mais aussi plus absurde, offrant de nombreuses idées amusantes. Là encore, on retrouve certains sujets, déclinés en plusieurs dessins, d’autant plus logiques avec un tel thème, proposant ainsi plusieurs illustrations autour de l’athlétisme, de la natation, de l’haltérophilie et d’autres.

Avec une certaine ingéniosité, Serre reprend à son compte certaines pratiques sportives, proposant ses propres versions, bien peu olympiques. Il utilise parfois un humour visuel reposant sur des jeux de mots, jamais explicités, l’ouvrage étant muet : comme ces lancers de poids ou ce service au tennis. Il offre même des situations, dont la conclusion est laissée à l’imagination du lecteur, mais qui ne peut être que farfelue, à l’image de cette compétition de lancers de poids sur un terrain de tennis, et qui ne pourra laisser que quelques bosses ou pire. Mais d’autres fois le gag est évident, pour autant d’humour de situation, comme cette terrible tache de sang au plafond lors d’un saut à la perche ou des parapentistes qui prennent les moutons comme des aigles.

Mon petit sujet de prédilection préféré de l’ouvrage sont les petits gags autour de Jésus Christ qui se retrouve ici mêlé à des compétitions sportives. Il refait le signe de la croix aux anneaux en gymnastique ou part évidemment avec un sérieux avantage lors d’une compétition de natation, lui qui peut marcher sur l’eau...

Deux gags viennent tout de même un peu ternir la bonne image que j’avais de Serre et des plaisanteries autour des femmes. Le sport est ici une activité d’hommes, quasi exclusivement, et l’une des plaisanteries autour du tire-fesse avec une skieuse est d’un grivois pas du meilleur tonneau.

Avec ces deux albums en amuse-bouche, je suis content de redécouvrir Serre armé de mon regard d’adulte. D’un point de vue technique je salue son talent, évident, dans son trait ou sa manière de mettre en scène le gag, toujours renouvelé selon l’envie et l’idée. Mais il y a bien sur son humour, et bien sur que tout ne se vaut pas dans de tels recueils, mais Serre propose aussi un regard souvent absurde, parfois noir, sur notre société, pour mieux s’en amuser. Et qui, plusieurs décennies après tout de même, prouve son incroyable résistance face au temps : on sourit, on s’amuse, on rit parfois. C’est le signe des grands humoristes, des grands illustrateurs, et il faudrait peut-être remettre à sa juste place Serre plutôt que le laisser traîner dans un oubli cruel.

SimplySmackkk
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le 7 nov. 2023

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