Berthelier élucide une triple injonction à laquelle doivent répondre les auteurs réactionnaires : l’injonction de revendiquer une filiation française (ce qui implique un certain rapport avec le classicisme, ce dernier étant souvent considéré par ces auteurs comme le modèle le plus pur du « style français ») ; l’injonction de se démarquer (soit de la masse par une écriture savante, soit des autres écrivains par une écriture ambitionnant une forme de simplicité qui exige néanmoins un « style ») ; l’injonction d’être apprécié et édité par les prescripteurs de légitimité du champ littéraire (qui, pour des raisons politiques évidentes, ne peuvent valoriser la collaboration qu’une portion de ce groupe a plus ou moins soutenue).
Le livre montre comment des auteurs allant de Maurras à Houellebecq se débrouillent de cette triple injonction, comment elle façonne leur style et quelles régularités on peut retrouver d’un auteur à l’autre. Maurras récuse toute forme d’avant-garde et promeut une écriture classique soumise au message qu’elle est supposée véhiculer (l’ordre social, la valorisation de la paysannerie et des petits artisans contre les ouvriers, etc.), Morand passe d’une forme de dandysme mélangeant avant-garde et références classiques à un style univoquement classique pour intégrer l’Académie Française... Ce serait schématique et laborieux de les lister – le livre ne l’est pas. Les particularités et les régularités à la fois sociales et stylistiques de chaque auteur sont identifiées via une analyse assez fine de nombreux extraits.
Une des régularités les plus intéressantes est que le style réactionnaire, puisqu'il ambitionne d'être hissé comme la quintessence du style, doit se vendre à des instances de légitimation conservatrices (notamment l'Académie Française, notamment la bourgeoisie). Cet impératif impose des limitations dans l'expérimentation littéraire et participe à neutraliser le potentiel avant-gardiste des auteurs les plus novateurs d'entre eux (et un certain nombre ne l'est pas du tout). En cherchant une reconnaissance institutionnelle maximale, les réactionnaires dont la marotte est de revendiquer le style au delà de considérations politico-matérielles seraient en fait particulièrement affectés par ces mêmes considérations.
Les chapitres concernant les auteurs dont le style est plus difficile à catégoriser (Morand, Céline, Renaud Camus, Houellebecq) sont selon moi les meilleures pages du bouquin (le chapitre sur Bernanos me paraît un peu mécanique ; je suis peut-être passé à côté). Les réflexions conclusives sur le terme « style », dont l’usage même implique souvent la distinction si chère aux réactionnaires, sont assez chouettes mais auraient pu être positionnées plus tôt pour plus s'intégrer à l'analyse des extraits.
J’émettrai deux réserves. La première est inhérente à ma position de lecteur : j’avais une connaissance souvent superficielle des écrivains étudiés. J’ai lu des bouquins de Bernanos, de Céline et de Houellebecq, quelques textes des uns et des autres par-ci par-là, mais je ne me suis jamais attaqué à un roman complet de Drieu, Jouhandeau, Chardonne ou Renaud Camus. Je n’ai pas d’expérience de leur style, dans le sens où ne les ayant que très peu lus, je suis en incapacité d’identifier moi-même leurs particularités. L’auteur le fait pour moi mais je suis obligé de me restreindre à ses exemples, à chaque fois extrait d’un corpus bien plus grand. Je le prends aux mots comme un élève, ce qu’un lecteur plus savant que moi n’est pas obligé de faire et qui permet sûrement de davantage « dialoguer intellectuellement » avec l’auteur.
Ma seconde réserve vient du hiatus entre le contenu du livre et ce qu’annonce le titre. Le travail de Berthelier est davantage une étude du style des auteurs identifiés comme réactionnaires qu’une étude du style réactionnaire. L’auteur est assez clair là-dessus dans l’introduction : il s’agit de chercher des régularités et leurs modalités parmi des auteurs réactionnaires plutôt que de définir un style réactionnaire indépendamment du statut des écrivains étudiés.
J’aurais aimé une approche plus phénoménologique pour le dire pompeusement. Je ne pense pas que ce soit gratuit d’opposer ça au livre même si Berthelier s’en prémunit : il ne dit rien d’auteurs a priori non-réactionnaires dont le style pourrait pourtant contenir quelque chose de réactionnaire. Or, soit ces auteurs n’existent pas, le style réactionnaire n’est alors que le style d’individus qu’on identifie comme réactionnaire hors du champ de la littérature mais l’auteur défend régulièrement le contraire, soit ils existent mais le livre ne nous laisse pas d’autres outils pour les analyser qu’une parenté avec le style des auteurs abordés dans le livre, pour la plupart pré-identifiés comme réactionnaires. On sent bien que Berthelier est emmerdé par cette limite et qu’il cherche à la dépasser ponctuellement (malgré la modération introductive de son ambition). C’est le cas pour Houellebecq et c’est pour ça que le chapitre est l’un des meilleurs du livre : Berthelier identifie Houellebecq comme écrivain réactionnaire en partant de son style. Pour la plupart des autres auteurs – avec quelques bémols faisant la richesse du bouquin – c’est l’inverse, on commente le style après avoir identifié l’auteur comme réactionnaire.
Cette limite est inhérente à un travail de recherche, encore plus pour une thèse de doctorat. On ne peut pas partir de toute la littérature d’une période et rigoureusement isoler ce qui ferait tel style ou tel style en 4-5 ans. Mais, malgré l’intérêt qu’il représente, malgré le plaisir de lecture dont il est à l’origine, le livre n’honore pas complètement son titre.