Le Successeur de pierre par rmd
Au VIIe siècle, un groupe de moines nestoriens considérés comme hérétiques fuient la Turquie vers l'Asie pour protéger leurs textes religieux fondateurs. Parmi ceux-ci, la Bulle de Pierre, rédigée par l'apôtre, et qui contiendrait la réponse de Jésus à l'affirmation de Pierre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ».
En 2032, la majeure partie de l'humanité est mise sous cloche, ou plutôt dans des cellules individuelles situées dans des pyramides géantes, suite à la Grande Peste et par peur de nouvelles pandémies. Les relations sociales ne se font plus qu'à distance : par le Web et par le biais de mannequins polymorphes. Dans ce monde enfermé, Calvin, jeune homme bidouillant l'informatique, limite ses contacts à un groupe hétéroclite de quelques personnes. Lorsqu'il apprend le suicide d'Ada, une femme dont il se sentait très proche, Calvin n'y croit pas et décide d'enquêter sur cette mort. Il découvre alors qu'il ne connaît pas si bien son entourage et son investigation va l'emmener très loin, jusque dans les cercles les plus secrets du pouvoir.
Jean-Michel Truong est un auteur rare. Paru entre un brillant premier roman sur le clonage (Reproduction interdite, 1988) malheureusement jamais réédité depuis et un thriller terrifiant sur la marchandisation de la vieillesse (Eternity express, 2003), le Successeur de pierre est son œuvre maitresse. Avec ce livre, Truong tend vers la substantifique moelle de la science-fiction : de la littérature d'idées et de spéculations. Spécialiste en intelligence artificielle (on remarquera le clin d'œil au domaine avec Ada) après une formation en psychologie et philosophie, il écrit avant tout pour développer ses visions de l'avenir de l'Homme. Si le sujet central est l'émergence d'une nouvelle conscience, d'origine technologique, pouvant succéder à l'espèce humaine (l'auteur a d'ailleurs publié un essai sur le sujet, « totalement inhumaine »), d'autres axes de réflexion sont abordés : l'enfermement des populations dans les pyramides, le contrôle total du spectacle politique, la précarisation générale des travailleurs par le biais d'enchères inversées sur les contrats de travail, voire la société entière basée sur un simulacre contrôlé par une élite ne subissant pas les mêmes contraintes. De tout cela se dégage une vision assez noire du futur couronnée par l'apparition d'une singularité larvée permise par un pouvoir ultralibéral proche de la dictature. A cela ajoutons des relations est-ouest sulfureuses et une représentation à peine exagérée de ce qu'aurait pu (ou pourrait encore ?) devenir le régime chinois, et l'on voit que les pistes lancées par l'écrivain sont nombreuses. C'est peut-être le principal défaut du roman : cette tendance à la digression et à l'érudition risque de perdre certains lecteurs. Mais ne vous inquiétez pas : Truong, s'il manie des concepts complexes, sait le faire dans un langage clair et accessible.
Grand prix de l'imaginaire 2000 face à Étoiles mourantes d'Ayerdhal et Dunyach et Babylon Babies de Dantec, le successeur de pierre est un roman d'une richesse incroyable comme seule la science-fiction peut en produire. Ne passez pas à côté !