Le Tambour est le premier roman de Günther Grass, publié en 1959, alors que son auteur avait un peu plus de trente-deux ans. On peut lire qu’il aurait eu, par la suite, des difficultés à éviter la comparaison avec cette première œuvre ; il est certain qu’il ne doit pas être évident d’entrer en littérature par une telle publication. Ce gros livre est composé d’une série de brefs chapitres qui sont autant d’épisodes de la vie d’Oscar Matzerath.
Günter Grass parcourt dans Le Tambour, c’est peut-être la clé d’entrée la plus manifeste du roman, tout un champ de l’histoire européenne. Les premiers chapitres font découvrir le monde de la grand-mère d’Oscar, au début du XXe siècle, issue du monde des champs et de la minorité linguistique kachoube dans les terres contestées du futur corridor de Dantzig. Le roman se termine dans la RDA du « miracle économique » et de la repentance (« Je discutais avec des catholiques et des protestants de la responsabilité collective et me sentais coupable au même titre que ceux qui allaient pensant : “Finissons-en maintenant, après quoi ce sera une bonne chose de faite ; et encore après, quand on remontera la pente, on n’aura plus besoin d’avoir mauvaise conscience.” »).
Cette histoire tragique est pourtant traitée sans tambour ni trompette. C’est sur un ton burlesque que l’aborde Grass, loin de la gravité d’autres fresques des mêmes époques et horizons. Son personnage, Oscar, est un enfant contrefait, devenu nain bossu, dont on ne sait jusqu’où croire son long monologue sans cesse guetté par une forme de mégalomanie. Sûr de lui, tyrannique, Oscar brise les vitres par la voix et décide du jour au lendemain d’arrêter sa croissance ; il commente avec une drôlerie acerbe, légitimée par son rôle social d’enfant, les actions de ceux qui l’entourent. Cette folie se prolonge jusqu’au mode de narration, qui tressaute souvent de la première à la troisième personne.
Pourtant, à aucun moment la disjonction entre la cruauté de l’histoire et le rythme allègre du roman n’apparaît. Les deux se répondent plutôt mutuellement, le second dénudant la première. Le passage le plus emblématique de cela est peut-être encore ce restaurant de la fin du récit, la Cave aux Oignons, où accourent les Allemands de l'après-guerre, qui souhaitent s’offrir une cure de larmes artificielles – il n’est pas étonnant que Grass ait décidé de reprendre cette image de l’oignon pour raconter sa jeunesse et son passage par la Waffen-SS dans son autobiographie des années 2000, Pelures d'oignon.