"Que les choses ont changé, que les fleurs ont fané" -Céline
Nous y voilà, au dernier volume de la Recherche. C'est bizarre de se dire que l'on va quitter des figures qui, car on les a côtoyées des mois durant, nous sont devenues si familières que cela en devient un véritable déchirement. Sans exagérer (et sans essayer vainement de pasticher), on tombe dans le syndrome de la saga, c'est-à-dire qu'on se sent à la fois libéré d'un univers, mais aussi très mélancolique à l'idée de le quitter. Et ce n'est pas parce que ce n'est pas de la fantasy et que c'est du Proust que cela déroge à la règle.
Dans le Temps retrouvé, le bilan s'impose, tant du côté du lecteur que de celui de l'auteur-narrateur. Rappelons-nous que Marcel rêvait d'une oeuvre littéraire qu'il n'arrivait pas à composer, même en se mettant à son bureau tous les jours. Ici, il revient, après l'évocation de l'impact de la Première Guerre mondiale sur sa vie, sur sa vision de l'art et du processus d'écriture, où il se rend compte que ce qui le bloquait le plus, c'était son manque d'expérience. La narration reprend le pas et l'invite à se rendre à la matinée Guermantes où il réalise que le Temps a fait son effet, tant physique que relationnel, sur les figures qu'il avait tant côtoyées. La vieillesse les a tous rattrapés, et avec elle la mort qui devient tout aussi omniprésente qu'imprévisible.
Personne ne peut être exhaustif quand il parle du Temps Retrouvé, tant le roman est dense dans les thèmes qu'il aborde. Certains apprécieront plus le côté historique des premières pages. Pour moi, ce sera le discours sur la création littéraire corrélé à la vie qui m'aura le plus interpellée. Vous avez sûrement lu/entendu de grands auteurs faire part de leurs conseils : lisez, écrivez, mangez cinq fruits et légumes par jour, etc. Pour Proust, pour écrire, il faut vivre. Mais le Temps joue contre toi, peut détruire ce que tu voulais mettre dans ton oeuvre. C'est ce que subit le narrateur, qui se retrouve coincé entre le Temps perdu et sa fin qui est/pourrait être imminente. C'est là tout le paradoxe de la création. Au final, les visages ridés, les corps qui se flétrissent, les gens qui deviennent séniles, ce n'est que l'avertissement amenant à se mettre au travail.
Le Temps Retrouvé est une belle leçon d'écriture tout comme La Recherche dans son ensemble est une belle leçon de vie, même si on ne se reconnaît pas dans les milieux bourgeois et aristocrates décrits. Je dois bien admettre que ce n'est pas très abordable, mais une fois qu'on s'y est accoutumé, c'est juste somptueux.
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