L'impression d'avoir grimpé au sommet d'une montagne d'une hauteur incroyable, totalement épuisé mais heureux. Voilà ce que l'on ressent après avoir entièrement achevé A la recherche du temps perdu de Marcel Proust.
J'étais entré dans la cour de l'hôtel de Guermantes (...) et je
reculai assez pour buter malgré moi contre les pavés assez mal
équarris derrière lesquels étaient une remise. Mais au moment où, me
remettant d'aplomb, je posai mon pied sur un pavé qui était un peu
moins élevé que le précédent, tout mon découragement s'évanouit devant
la même félicité qu'à diverses époques de ma vie m'avaient donnée la
vue d'arbres que j'avais cru reconnaître dans une promenade en voiture
autour de Balbec, la vue des clochers de Martinville, la saveur d'une
madeleine trempée dans une infusion, tant d'autres sensations dont
j'ai parlé et que les dernières oeuvres de Vinteuil m'avaient paru
synthétiser. Comme au moment où je goûtais la madeleine, toute
inquiétude sur l'avenir, tout doute intellectuel étaient dissipés.
Le Temps retrouvé, le septième et dernier tome, celui du pourquoi. Pourquoi Swann ??? Je croyais que la réponse entière était donnée dans Albertine disparue, mais non... Pourquoi tout ceci en fait ??? La réponse était simple puisque c'est le titre même. Le temps qu'on essaye de se restituer par rêve, par la pensée, avec très peu de succès, et qui décide comme cela de revenir à l'improviste, par le biais d'une sensation, sonore, olfactive, gustative évidemment, visuelle, par le toucher... les fameuses réminiscences...
Le temps qui change les êtres ne modifie pas l'image que nous avons
gardée d'eux. Rien n'est plus douloureux que cette opposition entre
l'altération des êtres et la fixité du souvenir, quand nous comprenons
que ce qui a gardé tant de fraîcheur dans notre mémoire n'en peut plus
avoir dans la vie, que nous ne pouvons, au dehors, nous rapprocher de
ce qui nous parait si beau au dedans de nous, de ce qui excite en nous
un désir, pourtant si individuel, de le revoir, qu'en le cherchant
dans un être du même âge, c'est-à-dire d'un autre être.
Le temps qui peut nous donner plusieurs personnes différentes pour pourtant une seule et même personne, selon que l'on ne la voit qu'à des époques bien espacées l'une de l'autre ou qu'on la voit constamment, y compris soi-même.
Ce qui est étonnant, dit-il, c’est que ce public qui ne juge ainsi des
hommes et des choses de la guerre que par les journaux est persuadé
qu’il juge par lui-même.
Bien évidemment, on retrouve quelques remarques incroyablement justes que l'on a envie d'apprendre par cœur et de citer à l’occasion. Et quitte à rester sur les retrouvailles, on a plaisir à revoir pour une dernière fois, pour un dernier tour de piste, vieillis, parfois méconnaissables, les divers protagonistes de cette œuvre unique. D'abord dans le Paris de la Première Guerre Mondiale, où l'on s'affiche plus patriote, et puis après...
Et bien évidemment, pour conclure, il y a le métier d'écrivain. Pourquoi choisir de devenir écrivain ??? Et qu'est-ce qu'un écrivain ??? Et puis Proust étant lucide sur le fait qu'un livre appartient à celui qui le lit, il nous encourage à avoir chacun sa propre Recherche, et puis l'extrême richesse de l'ensemble fait qu'il peut y avoir des milliers et des milliers et des milliers de Recherche différentes. A chacun de décider de celle qu'il veut... C'est le plus beau présent d'un immense artiste, qui a gagné son combat contre le temps, à ses lecteurs...
En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de
soi-même. L'ouvrage de l'écrivain n'est qu'une espèce d'instrument
optique qu'il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce
que sans ce livre il n'eût peut-être pas vu en soi même.
Une chose qui est sûre, c'est qu'après l'avoir lu, on est plus riche de quelque chose...