Temps perdu qui ne sera jamais retrouvé

Proust.


Pour moi, ce mot est une blague à lui tout seul. Sitôt que je l'entends, je ne peux m'empêcher d'afficher un sourire mi-narquois mi-compatissant, narquois parce que vous allez le découvrir tout de suite, compatissant parce que pour se lancer dans la lecture de cet auteur, faut le faire quoi.


Que dire ? Par où commencer ? Je pense que, si l'agrégation n'avait pas eu lieu, jamais il ne me serait venu à l'idée de lire Proust. Je préfère mille fois lire un Victor Hugo (argh) ou un Balzac (argh aussi). Pourquoi ? Parce que c'est incroyablement, incontestablement, spectaculairement nul. Proust... Mais qu'est-ce qui t'es passé par la tête ? Pourquoi ? Pourquoi avoir écrit ça ? Pourquoi t'infliger pareille souffrance, sachant que c'est nous qu'on trinque après ? Pourquoi ?

Par où commencer ? Par le style, puisque c'est ce qui caractérise cet auteur ? Le style, donc. Oui, c'est bien écrit. Oui, Proust manie bien la plume et la langue française. Et ? Il sait faire des phrases, mais elles sont beaucoup trop longues pour les apprécier correctement.


Personnellement je n'arrive pas à trouver l'intérêt de procéder comme ça. De deux choses l'une : ou bien Proust ne voulait pas qu'on le lise, et dans ce cas-là on est en train de profaner sa mémoire (ce qui, soit dit en passant, est assez peu respectueux de la part de ses admirateurs), ou bien il destinait ses écrits aux gens de la "Haute" (comprendre : les mondains parisiens), auquel cas ce livre n'est définitivement pas fait pour moi. Mais on me l'impose, alors je ne vais certainement pas être tendre.


Le Temps retrouvé (et aussi les autres avant je suppose, mais tout le vocabulaire de Proust ne serait pas suffisant pour dire à quel point ça ne m'intéresse pas de les lire) est comme une coquille, une belle coquille bien polie et bien brillante, mais désespérément creuse. Sous les phrases pompeuses et bouffies de grammaire, il n'y a rien. Proust n'a rien à raconter et se contente d'étaler ses talents de linguiste sur plus de 400 pages. L'histoire, si tant est qu'il existe une telle notion dans ce livre, est affreusement floue et brouillonne. Le narrateur passe d'un sujet à un autre avec une transition tellement brouillée qu'on ne la voit même pas, et sans qu'on s'en aperçoive on est passé à autre chose et on ne comprend plus rien. Il passe aussi son temps à s'étendre sur des détails sans importance (genre le journal du Goncourt au début : à quoi sert cet immense extrait qu'il nous présente ? En quoi fait-il avancer l'intrigue ?)


Aucun effort de mise en page non plus. On ne fait que lire des paragraphes interminables, faisant plusieurs pages pour la plupart, et si on a le malheur d'être distrait ne serait-ce qu'une nanoseconde, on perd le fil et il faut alors tout recommencer. Quand il faut lire plusieurs fois la même phrase pour la comprendre, y'a quand même un soucis quelque part. Et il n'y a même pas la douce délivrance des dialogues puisqu'il n'y a presque pas de dialogues, et tous sont incrustés dans leur paragraphe. Pour vous dire, même l'édition folio, l'édition de l'agrégation, a pitié puisqu'elle nous met un résumé détaillé de l'intrigue à la fin. Ça veut tout dire.


Alors oui, je sais, c'était pas la même époque blablabla. Mais c'est bien là le plus gros problème de Proust. De nos jours, quelqu'un qui écrit comme lui (phrases interminables, paragraphes tout aussi longs et intrigue horriblement floue) n'a absolument aucune chance de se faire publier. Et pourtant, c'est à cette même époque qu'on encense Proust pour son écriture de génie et qu'on dédie des journées entières et des expos par paquet de dix à l'occasion du centenaire de sa mort. Un auteur mort est donc infiniment plus génial et plus populaire qu'un auteur vivant.


Mais c'est en voyant la note moyenne sur senscritique (9,1/10) que je me pose de vraies questions : Proust a-t-il vraiment du succès ? Du bon succès je veux dire ? De toutes les fois où j'ai entendu parler de lui, c'était en mal (entre ceux qui s'y sont frottés et qui ont abandonné tellement qu'ils n'en pouvaient plus, ceux qui l'ont lu en entier et qui le regrettent et ceux qui l'ont étudié et qui le regrettent aussi, la liste est longue). Donc soit les admirateurs de Proust sont de vrais admirateurs, auquel cas que je n'ai rien dit (mais ça ne fera pas changer d'avis), soit les admirateurs ne font que suivre le mouvement et disent que c'est le meilleur écrivain au monde rien que pour adhérer à l'image bourgeoise et mondaine qui se dégage de ce livre. Parce que question pédanterie, il est champion.


De mon point de vue, l'admirateur lambda de Proust c'est un expert de rang légendaire dans la pratique de la masturbation intellectuelle, qui le lit uniquement pour pouvoir frimer face aux misérables plébéiens qui ne sont pas assez élevés intellectuellement parlant pour pouvoir le lire, encore moins le comprendre.

De mon point de vue, Proust est le digne successeur de Nietzsche, qui n'écrivait pas pour être compris mais qui voulait quand même être publié, et donc que son œuvre soit accessible à tout un chacun. En d'autres termes, "je suis infiniment supérieur à vous et je veux absolument que vous le sachiez."

Ce sont peut-être des préjugés, mais l'impression que l'on ressent face à une personne ou son œuvre n'engage que nous.


Alors oui, je mets 2/10 (ça va faire baisser la moyenne, mais est-ce que ça t'empêche de l'apprécier ? Hmm ? Voilà, alors ferme-là). J'aurais voulu mettre 0 parce que je pense à l'année entière à venir et pendant laquelle il va me sortir par les trous de nez, mais de toute façon c'est pas possible, hélas (dommage, si la perfection totale du 10/10 est possible, pourquoi l'imperfection complète du 0/10 ne l'est pas ?), et aussi il y a quand même deux bonnes choses avec ce livre :

- l'immense impression de soulagement quand on arrive au point final

- l'idée d'écrit que j'ai eue pendant que je le traitais de tous les noms


Mais personne ne me rendra les heures de ma vie que j'ai passée à lire ça, alors que j'aurai pu lire autre chose. Personne ne retrouvera mon temps, qui sera à jamais perdu.


En plus, je suis sûr que Claire Foy l'a pas lu.

Random_23
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le 14 sept. 2022

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