Le Testament des siècles par Bobkill
Quête christique à la française
Lors de la présentation de ce texte, je vais évoquer deux cas de ce qu'on appelle du « déjà vu », mais il faut bien se dire qu'en littérature tout a déjà été écrit, et cela depuis l'Antiquité grecque. De plus, Henri est ici un précurseur et non un suiveur, car son texte date de 2003 et pour un Français, il fut un des tous premiers à voir l'intérêt de construire une intrigue autour d'une quête christique. Il n'y avait eu avant lui que quelques tentatives – fructueuses –, mais trop éparses d'utilisation des mystères passés et sous la plume de grands noms tels que l'Italien Umberto Eco, l'Espagnol Arturo Perez-Reverte et le Britannique Iain Pears.
L'histoire est celle de Damien Louvel, scénariste d'origine française vivant à New York, qui doit rentrer en France à la mort de son père. Là, il va découvrir que cet homme détenait un secret qui va l'impliquer dans une série d'aventures. Premier « déjà vu » pour ma part. En effet, si je lisais les livres en ma possession dans leur ordre d'édition, j'aurais déjà réagi, mais avec un autre auteur, à savoir David S. Khara. Dans son « Projet Bleiberg », c'est déjà un New-Yorkais ambitieux qui doit interrompre sa vie trépidante quand il est rappelé pour le décès de son père. Là aussi des secrets anciens vont le plonger dans une série d'aventures. David a écrit son ouvrage quelques années après Henri et même si nous ne sommes pas dans des secrets du même ordre, j'ai eu du mal à accrocher, car j'avais déjà lu ce type d'introduction. Comme dit plus haut, tout a déjà été écrit et les ficelles sont obligatoirement à un moment ou à un autre, au corps défendant et en toute bonne foi de l'auteur, les mêmes. C'est d'ailleurs une des choses qui m'ont durablement empêché de me lancer dans l'écriture. La peur de ce que j'appelle l' « idéosphère » c'est-à-dire ce phénomène étrange qui fait que, même sans communication, les mêmes thèmes sont exploités au même moment et souvent dans une structure narrative assez proche.
Mais allons plus loin, car notre héros va se trouver confronté à des hommes mystérieux issus de deux redoutables organisations secrètes qui sont en quête du secret de son père. Aidé d'une journaliste, il va essayer d'être le premier à découvrir de quoi il retourne. Et là, second « déjà vu ». « Da Vinci Code » de Dan Brown va creuser dans les secrets christiques tout comme ici, mais l'œuvre de Dan Brown est postérieure à celle d'Henri et mêle plusieurs pistes en parallèle mâtinées de théories du complot très élaborées, ce qui a fait le succès de la thématique aujourd'hui reprise par une multitude d'auteurs avec plus ou moins de réussite.
Thriller haletant qui soulève des questions novatrices pour l'époque, ce « Testament des siècles » est assurément une réussite. L'art consommé du récit d'Henri Loevenbruck, les scènes d'action, les rebondissements multiples font de ce roman un des meilleurs thrillers français de la décennie. Les recherches effectuées par l'auteur, sa précision dans la restitution des faits et son sens aigu de la conduite de l'intrigue incitent le lecteur à ne pas lâcher l'ouvrage avant sa conclusion. Nous n'avons pas affaire ici à un sous-Da Vinci Code, mais bien à un texte précurseur de ce qui, en devenant une mode depuis, se vide peu à peu de tout intérêt pour le lecteur. Un thriller d'exception à apprécier.
Enfin, et c'est parce qu'ici j'en ai l'exemple et non parce que c'est Henri, j'ai une interrogation qu'il me faut exprimer. Pourquoi des auteurs qui ont commencé à écrire de la science-fiction comme Alexis Aubenque ou de la fantasy comme Henri Loevenbruck et Lionel Davoust ou du fantastique comme David S. Khara et Jérôme Camut se mettent-ils tous à écrire des thrillers ? Ces auteurs je les apprécie pour leurs écrits, mais aussi humainement, car j'en connais personnellement certains. Je reste coi devant cet état de fait. Certes le thriller ouvre la porte à un plus grand public et souvent va leur permettre de mieux vivre de leur plume, mais ces littératures de l'imaginaire qui les ont fait connaître leur paraissent-elles aussi trop étroites ou ont-ils besoin d'explorer d'autres pistes pour éveiller leur imagination et aiguiser leur plume ? Je ne sais pas. Ce que je crains surtout c'est qu'ils restent durablement dans le thriller – où ils s'avèrent doués, c'est indéniable – et qu'ils ne fassent plus d'incursion dans ces mondes imaginaires. Ayerdhal avait dit lors d'une table ronde à laquelle j'assistais qu'on est écrivain avant d'être d'un genre en particulier. J'entends bien cela, mais encore faut-il que cela ne paraisse pas pour un reniement. Je le dis sans reproche aucun, car j'ai énormément d'estime pour les auteurs précités dans cette conclusion. La réponse reste en suspens, mais je sais que je vais m'attacher cette année à leur demander ce qu'ils en pensent lorsque nous nous croiserons lors des divers festivals à venir.