« C'étaient tous des amis à de Gaulle et à papa » (p. 198) : le zeugme résume assez bien l'autobiographie de Jacques Lanzmann, entre récit intime et histoire de France. Soit quelques années, mettons de 1935 — « Jacquot » a huit ou neuf ans — à 1944 — c'est la Libération, et il est encore puceau. Du côté de l'histoire, figurant à l'arrière-plan, elle n'est évoquée que pour ses conséquences quotidiennes sur Jacques et ses proches. C'est résolument l'intime qui est au cœur du "Têtard", et même le très intime : à la fin du texte, le lecteur qui ignore la couleur des poils pubiens du narrateur s'est probablement trompé de livre, et celui qui a tenu le compte des références à la masturbation qui l'émaillent travaille sans doute pour l'INSEE.
Pour faire le lien entre le maquis et la braguette, l'auteur a opté pour un style qui, plutôt que de simplement dédramatiser des thèmes pas vraiment frivoles — amour, mort, maltraitance physique et morale… —, leur donne une coloration à la fois cruciale et fantaisiste, à la façon d'un roman picaresque. « C'est comme ça qu'au lieu d'aller au bordel me faire dépuceler, je me suis retrouvé roué de coups au siège de la Milice […] » (p. 228) : comme ces films dont on sait que de toute façon ils finissent bien, "le Têtard" se permet la légèreté qui, à la fois, évite que l'œuvre ne sombre dans le pompier, et l'empêche d'aller au cœur des choses.