Ayant décidé de me lancer dans une session de lectures "Western", mon attention a rapidement été attirée par ce "Tireur" de Glendon Swarthout, un auteur américain que je ne connaissais pas du tout jusqu'à présent... Et si quelques critiques élogieuses me faisaient partir avec un a priori positif, après lecture je ne peux que le confirmer : ce fut une très bonne pioche ! Le Tireur, c'est J.B. Books, légende de l'Ouest connu pour avoir descendu une trentaine d'hommes lors de duels au pistolet en Californie, au Nevada ou ailleurs. Désormais quinquagénaire, affaibli, fatigué, il se retrouve dans la petite ville texane de El Paso, où un médecin lui diagnostique un cancer qui ne lui laisse que quelques semaines à vivre. Trois options s'offrent alors au fameux tireur : l'attente de la mort et des intolérables souffrances qui la précéderont, le suicide, ou l'accomplissement d'une dernière action d'éclat avant de tirer sa révérence...
Le personnage de J.B. Books ne pouvait que me séduire : je suis toujours très friand de ces anciens héros (ou anti-héros, car nous avons affaire à une belle crapule !) en bout de course, qui ne sont plus que l'ombre de ce qu'ils ont été. Mais ici, en plus du crépuscule d'un héros, nous sommes témoins de la fin d'une ère : en 1901, la Conquête de l'Ouest est achevée, tous les grands tireurs sont morts, et la ville de El Paso entre pleinement dans le 20ème siècle en s'équipant de l'électricité, de l'eau courante, du téléphone, du tramway... Ce n'est pas seulement J.B. Books qui est condamné, mais le mode de vie traditionnel des pionniers. Cet aspect suffit à faire de ce roman un Western particulier ; il ne faut d'ailleurs pas s'attendre à y trouver des chevauchées épiques dans de vastes paysages comme nous en offre souvent le genre. La plus grande partie de l'intrigue se déroule ainsi entre les murs de la pension de la veuve Rogers, où J.B. Books, de plus en plus diminué au fur et à mesure que passent les jours, voit sa fin approcher. Les relations entre les personnages sont au centre du récit. On assiste notamment à l'indécent défilé des hyènes alléchées par la mort annoncée du vieux lion : ainsi le journaliste à l'affût du scoop, le croque-mort qui compte sur un coup de pub en organisant les obsèques d'une célébrité, le brocanteur venu négocier ses maigres effets, le pasteur qui espère qu'une éventuelle repentance servira d'exemple à la jeunesse, jusqu'au barbier qui gagnera quelques dollars en revendant des cheveux devenus reliques... Mais l'essentiel est la relation de J.B. Books avec sa logeuse, la veuve Rogers, laquelle évite heureusement l'écueil de l'histoire d'amour mièvre – le roman dans son ensemble est, de toute façon, dépourvu de toute mièvrerie et de tout sentimentalisme : c'est dur, âpre, violent, comme l'était l'Ouest américain à cette époque. Il s'agit d'ailleurs moins d'une histoire d'amour que de respect et d'amitié, et je l'ai trouvée très juste et touchante.
"Le Tireur" est un excellent roman court (un peu moins de 200 pages), tellement prenant qu'il peut se lire d'une traite, de la même manière que l'on est happé par un bon film – il a d'ailleurs été adapté au cinéma en 1976 sous le titre "Le dernier des géants", avec John Wayne dans le rôle de J.B. Books et Lauren Bacall dans celui de la veuve Rogers.