Ce conte terrifiant et obscur a trouvé sa genèse dans une histoire d’enfants hantés par des serviteurs morts que l’archevêque de Canterbury conta à Henry James. Mais il fit intervenir le personnage de la gouvernante qui sert d’intermédiaire entre les fantômes et les enfants.
Le texte est intitulé ainsi soit parce que, il est demandé au début, si, dans une histoire de ce genre, « un enfant donne un tour de vis de plus, que direz-vous de deux enfants ? », le tour de vis étant un accroissement d'horreur ; tandis qu’à la fin, c’est un tour d'écrou supplémentaire dans la pression qu’exerce la gouvernante sur les enfants.
James traite ce sujet singulier avec une habileté prodigieuse. Il ne voulait livrer au public ni un document clinique, ni un témoignage sur l'au-delà ; tous deux ressortiraient à la connaissance alors qu’il ne voulait que produire un certain effet esthétique, dans une œuvre que sa forte théâtralité rend extrêmement moderne. De là vient qu’elle reste délibérément obscure et ambigüe. Il ne faut pas attendre le dénouement, il faut être attentif à la beauté du déroulement, procédant par ellipses, par silences, qui clôt le récit sur un complet mystère inspirant de nombreuses questions.
Voilà pourquoi la nouvelle; œuvre où James a le plus apparemment fait intervenir le surnaturel, est un texte majeur de la littérature fantastique. Elle est très rigoureusement fantastique car, du fait de la nature incertaine du récit de la narratrice, elle est fondée sur l’hésitation entre une explication surnaturelle des évènements et une explication naturelle. Critiques et commentateurs continuent d'être divisés par les délicieux pièges de James. Le lecteur, emporté dans un infernal vortex, ne peut à aucun moment savoir. La suggestion est reine et l’ambigüité est élevée au rang d'art. En dépit de la médiation par un narrateur et l’éloignement dans le temps, s’impose une tension extrême qui culmine à la chute inattendue de la nouvelle.
Toutes les lectures sont possibles. Une oeuvre aussi troublante offre une multiplicité de sens, et cela fait plus de cent ans que les exégètes se disputent sur la signification profonde de cette nouvelle. Aux yeux de certains, qui risquent une interprétation psychanalytique, l'histoire nous présente un «monde des profondeurs» où le mal et la malédiction, les terreurs de l'enfance, l'angoisse, la notion de secret terrible se mêlent, invite à une exploration hardie de l’inconscient.
Henry James a dépeint une atmosphère étouffante et trouble qui peut dérouter par son style ampoulé et suranné.
Mais il crée ainsi la distance nécessaire qui plonge le lecteur dans un "au-delà" littéraire, un monde irréel.