Le train 17 est l'un de ces innombrables romans de mœurs, mangeant aux râteliers croisés d'un romantisme bout de course, du réalisme et de l'approche feuilletonesque héritée du moins bon mélo', qu'un XIXe en fin de siècle et d'inspiration nous aura débités à la palette – et plus celle qu'on met dans un camion avec des boîtes de saucisses dessus que sa cousine pincée entre les doigts du peintre en goguette.
Lauriane est une jeune écuyère aux origines incertaines, à la faiblesse capricieuse de femme (le roman est d'une misogynie consternante même pour les standards de l'époque), qui rêve de retrouver le riche foyer dont elle est sûre d'avoir disparue et qui condescend tout de même à épouser Martial (!!!), le bon ouvrier fait de droiture et de système qui doit révolutionner par son génie brut et néo-classique la mécanique de la vapeur. Le mariage, la maternité, la tromperie amoureuse seront autant de jalons décevants pour la protagoniste, attendus et complaisamment, trop longuement éclairés, que l'auteur nous infligera avant le dénouement mélodramatique qui a au moins le mérite de faire rire par son ridicule, et que Zola plagiera sans la moindre once de vergogne dans son hystérique Bête humaine.
L’œuvre de Jules Claretie n'a en soi que peu d'importance et on ne serait pas impudent de questionner la nécessité même de relire et de critiquer tous ces auteurs académiques, très de leur temps, très de leur siècle, que l'histoire des canons, ce gros intestin volant, a le mérite d'avoir pu digérer à notre place souvent avec pertinence, quoi qu'on en dise.
Je prends davantage le roman comme un symbole de mon divorce avec une forme que je n'arrive plus à embrasser, comme après un ménage trop long. Le roman, surtout XIXe, surtout à la française, surtout journalistique, surtout empreint de théâtre, est un paradigme à rouleaux, aux fils rouges fatigués et aux rôles structuraux des personnages tellement polis par le nombre de fois que l'on a fait tourner la roulette qu'il est difficile même pour le moins alerte des lecteurs de comprendre toute la machinerie d'un coup d’œil.
Je ne comprends plus le plaisir que l'on peut tirer à être baladé le long d'un rail si souvent emprunté que l'on sait comment se pencher à droite avant même que ne survienne le virage. Et d'une longueur avec ça. Je me suis beaucoup demandé si mon obsession pour le bref, pour le poème, pour l'écriture en fragment, ne cachait pas en réalité cette même inconséquence qui fait ressentir aux adolescents d'aujourd'hui le besoin de consommer des produits ultra cutés et montés, qui recourent constamment au shot renouvelé de dopamine.
Mais ce roman-là, je n'en peux plus, je n'en veux plus. Adieu mon XIXe. Ironiquement et comme tes héroïnes stéréotypées, je t'ai aimé à m'en lasser de caprice. Au revoir ou à bientôt ?
PS : Retenons tout de même au crédit de Claretie, et par contraste avec la clique des psychologues à la Bourget ou les déféqueux naturalistes, une approche de panoramiste pas inintéressante lorsqu'il décrit le milieu du cirque qui l'a fasciné ; retenons-lui son Kenwell, clown anglais amateur de Shakespeare, dépressif à se suicider par apoplexie volontaire et acrobatique, qui s'installe confortablement dans toute une série de guignols horrifiants allant de Pantagruel au Joker.
PS 2 (pas celle de Lynch mdr abonne-toi) : Le roman, même s'il sera on l'a dit pompé dans ses quelques bons effets techniques par le gros cochon aux pattes grasses des Rougon, a tout de même un ridicule stylistique franchement risible par instants. En témoignera, en guise de fin, cette liste de quelques caractérisants du héros Martial : « tout en lui était mâle, sympathique, solide et franc », « le jeune homme sourit, d'un sourire mâle », « et ce nom vaillant, mâle et hardi, semblait en vérité le seul qui pût lui convenir », les yeux sont d'un « mâle éclat », « un léger tremblement dans sa voix mâle », « Lauriane se sentait pénétrée, dominée, par ce sourire mâle, doux et fort », « il y avait chez cet homme une mâle nature de soldat », « il y trouvait des jouissances inattendues, des voluptés mâles », « les luttes fortifiantes, les labeurs mâles », « cette élégance native, sans affection, mâle et simple », « ce nom de Martial qu'elle trouvait après tout mâle et sonnant hardiment », « au front superbe, au regard plein d'une ardeur mâle », « il ressentait pour elle la passion la plus mâle » etc etc etc etc.
Je me suis littéralement arrêté avant la moitié des occurrences de ce putain d'adjectif trop souvent antéposé. J'avais l'impression confuse qu'on m'eût greffé de force une deuxième paire de couilles après ce pâté de descriptions mâââââles.
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