On lit rarement des livres comme ceux de Yannick Haenel. De par son style, de par son écriture, de par les thèmes qu’il choisit, ses romans sont toujours des objets littéraires d’une curiosité exquise. Le dernier en date, Le trésorier-payeur n’échappe pas à la règle, nous donnant à lire un récit étonnant, parfois déroutant, mais dont la petite musique finit par instiller sa mélodie en vous au point de ne plus pouvoir vous en passer. Mais avant cela, il faudra consentir quelques efforts pour entrer dans cette histoire imaginée par Yannick Haenel, pour comprendre ce personnage de Georges Bataille, un étudiant en philosophie qui, par choix, va se diriger vers les métiers de la finance, et devenir le trésorier-payeur de la Banque de France dans la ville de Béthune.
Tout commence quand l’auteur est invité à participer à une exposition lors de l’inauguration d’un centre d’art contemporain situé sur l’emplacement de l’ancienne Banque de France de Béthune. Une exposition dédiée à l’écrivain Georges Bataille autour du thème de la dépense qu’il traite dans son livre La part maudite. À partir de là, Haenel va imaginer un récit centré sur le personnage de Georges Bataille dont les études et les passions le destinaient à tout sauf à devenir banquier dans le nord de la France.
Nous sommes entre la fin des années 80 et le début des années 90, au moment, où de nombreux changements s’opèrent dans le Monde. C’est la fin du communisme, l’économie capitaliste s’impose, le néo-libéralisme a le vent en poupe, porté par les politiques de Ronald Reagan – présent dans un savoureux passage du livre – et de Margaret Thatcher. Bien que travaillant pour la banque de France, le trésorier payeur déteste l’argent lui préférant la philosophie, l’amour des femmes : “il ne pensait plus qu’à ça : aller embrasser Lilya, mêler follement sa langue à la sienne, se fondre dans cette humidité de lune qu’avaient ses baisers, et à travers le plaisir que lui procurait cette étreinte, oublier tout, les chiffres, la banque et la fatigue de ses nuits blanches”. Georges Bataille s’est aussi donné pour mission de venir aide à ses clients les plus pauvres empêtrés dans des crédits, à travers un élan philanthropique dont il a le secret.
Homme, bon, naïf par certains aspects, épicurien et en contradiction totale avec son métier, “Seul ce qui est gratuit nous sauve. La solution ce n’est pas l’argent. La solution c’est la gratuité”, le trésorier payeur est un personnage assez curieux, difficile à cerner au premier abord, mais dont on finit par comprendre l’idéal, la pensée profonde au fil des pages.
Au-delà de l’histoire du cet homme, c’est au style de Yannick Haenel que l’on s’attache aussi. Un style dont on déguste chaque phrase, chaque paragraphe, chaque chapitre, avec beaucoup de bonheur, car il faut dire que l’auteur de Tiens ferme ta couronne met beaucoup de soin et de raffinement dans son écriture, notamment quand il s’agit d’évoquer les passions amoureuses du trésorier-payeur à travers des scènes charnelles, d’un érotisme parfois torride.
Un livre qui se lira très tranquillement pour bien profiter de toute la richesse de la prose de Yannick Haenel, écrivain brillant, mais aussi fin amateur de musique pop rock comme on peut le voir dans un passage consacré à la scène rennaise des années 80 où il sera question de Philippe Pascal, chanteur des groupes Marquis de Sade et Marc Seberg et des débuts d’un jeune chanteur nommé Étienne Daho.
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