En 2016, alors que Yannick Haenel participe à Béthune à une exposition collective dans les anciens locaux de la Banque de France reconvertis en centre d’art, un sujet de roman lui tombe tout cuit dans le bec : un certain Georges Bataille, étrange personnage connu sous le titre pourtant vide de sens de Trésorier-Payeur, sorte de banquier philosophe à la réputation de bon samaritain, dont la légère excentricité a marqué la Banque à l’orée des années 90-2000. 


De la découverte de ce curieux personnage, dont la vie est pleine de coïncidences et de zones d’ombres, à commencer par son homonymie avec le célèbre auteur, Yannick Haenel tire un roman dont le programme, placé sous le haut patronage du Banquier anarchiste de Pessoa, a de quoi enthousiasmer : à travers ce héros paradoxal, chercher le sacré dans les salles des coffres, ces lieux aux airs de cathédrales qu’on croirait pourtant dépourvus de toute liturgie ; tenter de comprendre cette opération alchimique qui fait que, dans cette ancienne région minière, du charbon sorti des profondeurs de la terre a pu devenir de l’or, à son tour placé sous terre, hors de portée de ceux qui ont contribué à sa création ; saisir le sens de la Charité, poussée par Bataille et l’étonnante confrérie dont il fait partie jusqu’à une forme d’effacement de soi ; enfin, esquisser une métaphysique de l’argent, ce Rien capital, et comme le dit le Trésorier-payeur lui-même, « placer l’économie à la base de la poésie ». 


Lorsque Yannick Haenel se tient strictement à ce programme, il livre des pages particulièrement réussies, denses et pourtant claires et stimulantes (et ce bien qu’elles soient portées par la figure d’étudiant en philosophie devenu économiste qu’est Bataille : soit deux des disciplines que je trouve les plus assommantes au monde). Malheureusement, une fois passé le prologue drôle et halluciné qui, dans la veine du long delirium de Tiens ferme ta couronne, restitue le contexte d’écriture de ce nouveau roman, Haenel retombe trop souvent dans ses vieux travers : sa tendance à être souvent un peu trop verbeux, voire pompeux, au point d’écraser son propos, et surtout, surtout, sa tendance à doter ses personnages d’une sensualité digne du loup de Tex Avery. Quand une femme entre dans la pièce, Bataille bave et les yeux lui sortent de la tête - on imagine qu’Haenel aussi, vu son insistance à parler des formes et des coupes de cheveux des personnages féminins de son livre. Ca ne tombe pas si mal, remarquez, puisque toutes les femmes sont un poil nymphomanes chez Haenel et même les rares qui ne s’offrent pas joyeusement à son héros se dévouent pour flirter longuement avec lui, histoire de légitimer tout de même leur présence au sein du roman. Des scories dignes d’un autre temps, qui plombent durablement les 410 pages du Trésorier-payeur. 

Cyril-spoile
5
Écrit par

Créée

le 5 nov. 2022

Critique lue 46 fois

1 j'aime

Cyril T

Écrit par

Critique lue 46 fois

1

D'autres avis sur Le Trésorier-Payeur

Le Trésorier-Payeur
Cyril-spoile
5

Critique de Le Trésorier-Payeur par Cyril T

En 2016, alors que Yannick Haenel participe à Béthune à une exposition collective dans les anciens locaux de la Banque de France reconvertis en centre d’art, un sujet de roman lui tombe tout cuit...

le 5 nov. 2022

1 j'aime

Le Trésorier-Payeur
abel79
6

Bataille à Béthune

Le Trésorier-payeur est un haut fonctionnaire du ministère des Finances, qui dirige les services du Trésor public dans un département. Le titre du dernier roman de Yannick Haenel, est donc un...

le 15 oct. 2022

1 j'aime

1

Le Trésorier-Payeur
BenoitRichard
9

Critique de Le Trésorier-Payeur par Ben Ric

On lit rarement des livres comme ceux de Yannick Haenel. De par son style, de par son écriture, de par les thèmes qu’il choisit, ses romans sont toujours des objets littéraires d’une curiosité...

le 26 sept. 2022

Du même critique

Tous ceux qui tombent
Cyril-spoile
8

Critique de Tous ceux qui tombent par Cyril T

Qui étaient-ils, les 10 à 30000 morts de la Saint Barthélémy ? Et à qui appartenaient les mains qui, cette nuit de 1572 puis pendant plusieurs semaines partout en France, ont frappé, blessé, embroché...

le 5 nov. 2022

5 j'aime

1

Alexis Zorba
Cyril-spoile
5

Critique de Alexis Zorba par Cyril T

Zorba, c’est bien sûr ce type qui danse sur une plage crétoise, un cliché ambulant d’office du tourisme grec - dont la fameuse danse, c’est bien connu, n’est même pas traditionnelle mais a été...

le 5 nov. 2022

4 j'aime

Nouvelles ukrainiennes
Cyril-spoile
7

Critique de Nouvelles ukrainiennes par Cyril T

J’aime Emmanuel Ruben. J’aime sa manière d’écrire en géographe, son attention aux reliefs et aux frontières, son sens de la poésie des fleuves et des forêts qu’il emprunte à Julien Gracq dont il est...

le 5 nov. 2022

3 j'aime

1