«Le Troisième Reich» est l’un des premiers livres de Roberto Bolaño, écrit en 1989 et demeuré inédit, découvert sur le disque dur de son ordinateur après sa disparition, comme les textes publiés dans «Le secret du mal». Il a été publié en 2010, dans une traduction française de Robert Amutio pour les éditions Christian Bourgois.
Ce roman est écrit sous la forme d’un journal au ton impersonnel, le journal du personnage principal, Udo Berger. Jeune champion allemand d’un jeu de stratégie sur plateau, Le troisième Reich (un jeu qui existe réellement sous le nom Third Reich), Udo passe des vacances sur la côte espagnole avec sa fiancée Ingeborg. Il y fait preuve dès son arrivée d’une certaine arrogance, en exigeant du personnel de l’hôtel une table de jeu aux dimensions inhabituelles, amorce du portrait de ce personnage inepte et froid, qui passe l’essentiel de son temps reclus autour de son plateau de jeu.
Ces vacances sont vides de sens, ennuyeuses et improductives pour Udo qui souhaiterait perfectionner sa stratégie de jeu. Elles sont ponctuées de nuits d’ivresse avec Charly et Hanna, un autre couple d’allemands rencontrés sur place, bientôt en compagnie de personnages locaux interlopes et plutôt inquiétants, le Loup, l’Agneau et enfin le Brûlé, un homme d’origine sud-américaine, loueur de pédalos sur la plage, au physique terrible, affreusement défiguré par des brûlures dans des circonstances énigmatiques.
«Jamais comme à ce moment-là, dans ces circonstances, le Loup n’a porté aussi bien son nom ; le visage d’Ingeborg, lumineux, frais, bronzé, attirait son regard comme la lune les lycanthropes dans les vieux films de terreur.»
Initié sous la forme (presque) innocente d’un placide journal de vacances, le roman bascule peu à peu dans une atmosphère trouble et angoissante, tout d’abord parce qu’Udo renoue avec l’attirance éprouvée lorsqu’il était adolescent pour la gérante de cet hôtel où il a séjourné maintes fois avec ses parents, Frau Else, puis avec la disparition inexpliquée de Charly. La vie d’Udo dans cette station de la Costa Brava prend des allures de plus en plus irréelles, décousues. Il entame une partie de troisième Reich avec Le Brûlé, seules séquences pendant lesquelles le déroulement de l’action – le jeu de guerre – semble précis et cohérent.
Avec la fin de l’été, la station balnéaire se vide et devient lugubre. La partie de troisième Reich prend un tour inattendu, et le pas sur tout le reste ; la déchéance d’Udo grandit, épuisement, douleurs, cernes horribles, pâleur grandissante et manque d’argent.
Roman de jeunesse, «Le Troisième Reich» est néanmoins un texte fort, où l’essentiel est dit dans les insinuations, autour de la fascination esthétique pour la guerre et le fascisme, du rapport entre le jeu, la fiction et la réalité. Chaque livre de Bolano semble contenir l’ensemble de son oeuvre et ce texte des débuts est déjà porteur des thèmes qui l’obsèdent, la violence souterraine, les formes étranges et persistantes du nazisme, la mélancolie et la fascination pour le mal, en prélude à «Étoile distante» et à «La littérature nazie en Amérique».
«Je me suis souvenu du joueur que Quelqu’un voit d’en haut, rien que tête, épaules, dos des mains, et le plateau et les pions comme une scène où se déroulent des milliers de débuts et de fins, éternellement, un théâtre kaléidoscopique, unique pont entre le joueur et sa mémoire, sa mémoire qui est désir et qui est regard.»
Éric Bonnargent parle magnifiquement de ce roman dans le dernier numéro de la revue Europe consacré à Roberto Bolaño et qui vient de paraître. Il sera l’invité de la librairie Charybde (Paris 12ème) le 6 juillet 2018 en soirée, en compagnie de Melina Balcázar Moreno et de Jean-Baptiste Para pour fêter la parution de cette revue.
Retrouvez cette note de lecture sur le blog Charybde 27 ici :
https://charybde2.wordpress.com/2018/06/10/note-de-lecture-le-troisieme-reich-roberto-bolano/