Voici un magnifique roman, tout simple en apparence, mais vraiment bouleversant.
C'est l'histoire de Ramchand, modeste vendeur de saris, qui cherche à donner un sens à sa vie en étudiant. Orphelin très jeune, Ramchand a reçu une instruction médiocre, vite oubliée à son entrée dans le monde du travail. A 26 ans, il déchiffre à grande peine les enseignes et ne maîtrise absolument pas l'anglais. Pourtant l'univers étroit de sa boutique, les dimanches au cinéma entre collègues et sa petite chambre moisie ne lui suffisent plus. Mis au contact de la haute bourgeoisie par le biais de sa clientèle, Ramchand aspire à une existence meilleure. Il veut à tout prix progresser, se faire une place dans la société. Lorsqu'il se retrouve par erreur invité au mariage fastueux des Kapoor, famille de grands industriels, l'humble employé a une sorte de révélation: et si c'était ça, la vraie vie? Mais alors pourquoi tant d’injustice pour des centaines de millions d’Indiens ? Comment Chander, vendeur en apparence paisible, a-t-il sombré dans l’alcoolisme et la violence conjugale ? Pourquoi la police a-t-elle assassiné de sang-froid les deux fils du marchand de thé ? Les réalités sociales de l'Inde vont rapidement briser les rêves de notre héros. Ramchand aura beau se débattre, il ne pourra échapper à la souffrance des petites gens qui l'entourent, à toute cette misère sur laquelle on voudrait fermer les yeux pour continuer à survivre.
"Le vendeur de saris" nous en apprend beaucoup sur l’Inde contemporaine, sur ses problèmes de corruption, ses inégalités sociales, ses conflits religieux. Mais ce n'est pas seulement un roman social. C'est surtout l'histoire d'une prise de conscience. Comme de nombreux concitoyens, Ramchand semble avoir un destin tout tracé, fait de médiocrité et de misère. Or, grâce à l'étude et à la réflexion, il parvient à un bref éveil de la conscience, d'autant plus douloureux que le personnage est totalement impuissant. Face aux abus du système, les plus humbles sont éternellement foulés au pied. Faut-il alors s’autodétruire – comme la jeune Kemala-, se révolter, ou se résigner à vivre dans le noir pour toujours en s’aveuglant soi-même ? Cette tragédie personnelle donne au livre une dimension psychologique très intéressante.
Dans ce roman, les saris chatoyants côtoient le gris sale des taudis. Cette symbolique des couleurs est présente jusqu’à la dernière ligne où il est question d’une souillure indélébile, image du désespoir.